Sur le registre du pessimisme, face à René Pons, même Cioran et Thomas Bernhard font figure de joyeux plaisantins. L’ermite du Gard n’a de cesse de ressasser toutes les vilenies du siècle : de la Seconde Guerre mondiale à la télévison, en passant par la trahison des amis, tout est bon pour dévider la pelote des litanies lugubres. Il arrive parfois que tant de chagrin revigore le lecteur. Le fait que la lucidité soit vécue par l’autre est déjà une satisfaction : on lui laisse les insomnies et l’on prend bien volontiers ses livres.
Ces Lettres à des morts plus vivants que les vivants ont été écrites faute de correspondants. Les destinataires sont célèbres, souvent écrivains, parfois personnages de papier. On y croise ainsi Caïn, Teste ou Ulysse, Voltaire, Flaubert ou Artaud. L’auteur y prend ses aises et tutoie sans vergogne ses correspondants : il est vrai qu’ils ne liront jamais ces missives. L’écriture du courrier s’apparente à un acte d’hygiène : la page accueille les déchets que la nuit a déposé au seuil de la conscience. Plaintes, colères, bougonnements écrits « sur le pupitre de mes genoux » irriguent une écriture qui se lâche parfois dans de longues phrases élancées. Vaine occupation : en plus de l’état corrompu (mangés par les vers) des destinataires, « si subtile qu’elle soit, la langue nous laisse étanche les uns aux autres ». Encore qu’on trouve, comme oubliés, des élans d’enthousiasme : à propos de la jeunesse de Paul Valéry et évoquant Homère, Pons remarque que « des larmes (lui) viennent aux yeux par la grâce de mots écrits il y a plus de deux millénaires ».
Mais le livre reste désespérément sombre, comme si au sang d’encre qui l’a écrit s’était ajouté un peu de bile. René Pons, dans sa lettre à Bouvard et Pécuchet avoue « son amour déçu de l ’humanité ». À l’heure des bilans, lorsque ni la vieillesse ni la solitude ne sont un horizon, il devrait quand même bien se rendre compte que cette humanité, malgré tout, malgré lui, il continue de l’aimer.
Lettres à des morts
plus vivants que les vivants
René Pons
Paroles d’Aube
106 pages, 95 FF
Domaine français Poste restante
août 1999 | Le Matricule des Anges n°27
| par
Thierry Guichard
Un livre
Poste restante
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°27
, août 1999.