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Poésie Le père bégayé

août 1999 | Le Matricule des Anges n°27 | par Thierry Guichard

Avec une langue qui bafouille quand elle ne s’attache pas aux balbutiements de l’enfance, Pas revoir dévoile l’émotion d’un deuil indicible.

On sait le langage inadéquat à dire le monde. Les mots seulement capables de circonscrire une émotion sans jamais parvenir à en révéler ni la profondeur ni la violence. Face à une expérience indicible, comme ici la mort du père, il ne resterait donc que le silence, une parole mensongère (à dire autre chose que ce à quoi on s’est attaché) ou un maladroit balbutiement. Valérie Rouzeau a choisi cette dernière solution. Encore que choisir pas plus que solution ne sont des termes appropriés. À la lire, ce balbutiement, ces trébuchements de la langue semblent s’être imposés à elle comme parfois l’immanence des sanglots impose à la voix des hoquets qui font bégayer les phrases. De cette jeune femme d’à peine trente ans, on connaissait ces vers tout en suspension, caressant au quotidien les souvenirs de l’enfance, réhaussant d’infimes détails pour révéler une présence habitée des lieux. Avec Pas revoir, c’est une autre écriture qui se fait jour, et disons-le tout de suite, cette poésie-là est inouïe, au sens premier du terme : jamais entendue.
Ce n’est d’abord pas un recueil mais un livre constitué de textes autour de la disparition prématurée du père, un deuil magnifique en cela même qu’il n’est pas magnifié. Les mots sont ici comme des béquilles maladroites avec lesquelles il faut bien tenter d’avancer, malgré tout.
Comment écrire, quand l’absence devient définitive ? Comment respecter le disparu et ne pas jeter sur lui des mots qui finiraient par ensevelir jusqu’au souvenir ? Sur les tombes des cimetières, les fleurs déposées ne sont visibles que des vivants et elles ne s’adressent souvent qu’au passant pour témoigner d’une douleur. Les poèmes ici, au contraire, ne s’écrivent a priori pas pour le lecteur, mais tentent (sans illusion) de nouer une parole avec le défunt. Parole ombilicale autant que primitive, émanation d’une prière païenne où l’urgence et la douleur laissent entendre sans cesse les syllabes qui disent « papa », « père », comme si les phrases n’avaient qu’un appel pour ligne de fuite.
La parole ici porte le deuil d’une ultime conversation, un adieu qui ne put avoir lieu, la mort plus rapide que tout : « Le train foncé sous la pluie dure pas mourir mon père oh steu plaît tends-moi me dépêche d’arriver (…) Nous nous loupons ça je l’ignore passant Vierzon que tu es mort en cet horaire. (…) Jusqu’à ton front c’est terminé tout le monde dans la petite chambre rien oublier. »
Reste alors à évoquer les jeux de l’enfance : « Papa dire papa dear dada pire : tu te souviens de mon petit cheval ? Comme ça tournait autour de la table à roulettes de cuisine sa crinière nos cheveux noirs au vent ? » Souvenirs marqués au sceau du « plus jamais » : « Nous n’irons pas nous n’irons plus pas plus que nous n’irons que nous ne rirons plus que nous ne rirons ronds. » Reste à dire les gens, beaucoup de monde venu à l’enterrement ; les mots de rien qui s’échangent. La mort est cela même qui n’interrompt pas la marche du monde alors qu’on croyait que si. Comédie humaine, rituel où les habits témoignent si mal de la douleur, où même le mort joue un rôle : « Ce n’est toujours pas toi ce cadavre comme si toi tu aurais tenu en place comme ça comme si tu ne savais plus dire bonjour toi si courtois. »
Il est difficile, au final, de déclarer que ce livre est beau et bouleversant. Ce serait le clore, le délimiter, le mettre à distance en le qualifiant. Disons simplement que sa nécessité nous le rend vital.

Pas revoir
Valérie Rouzeau

Le Dé bleu
86 pages, 75 FF

Le père bégayé Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°27 , août 1999.
LMDA PDF n°27
4,00