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Égarés, oubliés L’apostolat méditerranéen d’Armand Guibert

août 1999 | Le Matricule des Anges n°27 | par Alfred Eibel

Professeur d’anglais à Tunis, Armand Guibert fut le pivot d’une génération d’écrivains francophones d’Afrique. Poète, essayiste et éditeur il a intégré les œuvres de Roy Campbell et Fernando Pessoa à son grand rêve, la Méditerranée. (Re)découverte.

La littérature est faite par des hommes animés d’une grande force d’abnégation au point que leur œuvre personnelle en pâtit. Que l’on songe à des plumes aussi contrastées que celles de Hubert Juin, Francis Lacassin, Pascal Pia, Gilbert Sigaux, Roland Stragliati et maints autres qui ont consacré leur vie à faire connaître les écrivains de leur cœur. Certes chacun a publié des livres, des essais, peut-être des romans, aussi des préfaces, des études, mais l’ensemble ne correspond pas avec l’idée qu’on se fait d’une œuvre concertée. Pour Armand Guibert qui reconnaît la minceur de la sienne, cela tient, il le confesse, à ce qu’il n’a su rester un homme de cabinet.
Né le 11 mars 1906 à Azas, en Haute-Garonne, Armand Guibert fait ses études à Saint-Sulpice-la-Pointe dans le Tarn. Il les poursuit à Toulouse et en Angleterre. On n’en saura pas plus. Par contre, on sait qu’il flâne dans les rues des villes, se mêle à la foule, taille le bout de gras avec les artisans du coin. À Lisbonne le hasard lui fait trouver le sens exact d’un mot qu’il cherchait pour la traduction d’un poème de Fernando Pessoa. Il le recueille de la bouche d’un chauffeur de taxi. Son avidité à s’imprégner de la culture des pays où il se rend l’amène à partager ses découvertes avec ferveur. Pessoa, Milosz, Jean Amrouche ou Roy Campbell, le Malgache J.-J. Rabearivelo, l’Africain Senghor. S’il est un trait commun aux estafiers cités plus haut, c’est leur désintéressement vis-à-vis des écrivains qu’ils choient. Lorsqu’il s’agit d’écrivains étrangers, c’est la volonté de les traduire en se plaçant Sous l’Invocation de Saint Jérôme pour mieux les entendre, pour mieux épouser leur style. Armand Guibert a écrit que voyager à travers les terres habitées signifie voyager à travers les âmes. Rien d’exotique dans cette démarche mais peut-être une approche des âmes profondes et de l’universel. Il note dans Australes : « libre comme l’écureuil qui se rit des saisons, des hémisphères et des conflits ».
Si Guibert n’a pu discuter avec le poète Rupert Brooke qu’il traduit dans les années 1930 (Brooke décède en 1915), il ne rencontre pas non plus Pessoa qui disparaît en 1935 à quarante-sept ans. Et pourtant c’est bien Fernando Pessoa qui le fascinera durant son existence. Il sera son sésame, son mot de passe, sa clef des songes, son passeport pour le « mythe méditerranéen » comme il l’écrit à son ami Raymond Schwab en 1939.
Jusqu’à la fin de sa vie, retranché dans son deux-pièces du Quai d’Anjou, Pessoa lui assurera une formidable correspondance avec les cinq continents car il se tient au courant des multiples éditions et traductions des œuvres du Portugais et ne cesse jamais de vérifier les interprétations que les exégètes donnent de l’œuvre pessonienne, aussi contradictoires fussent-elles.
Le hante aussi l’assassinat de Federico Garcia Lorca survenu en septembre 1936. Il avait traduit quelques-uns de ses poèmes. Dans une brève mais émouvante étude, il écrit que Lorca était « comme le cristal de pureté parmi les troubles passions antagonistes ». Installé à la villa Médicis en mars 1945, Guibert est sollicité par Pierre Seghers pour participer au volume des « Poètes d’aujourd’hui » consacré à Lorca. Il conclut son hommage sur ces mots : la « beauté ne peut vivre, s’épanouir, et nous féconder, que si chacun de nous, en toute conscience, se dresse contre les forces du mal qui risquent d’en empoisonner ou d’en tarir le cours ».
Lorsque paraît en 1937 à Tunis son étude Poésie d’abord dans sa propre collection « Les Cahiers de Barbarie » (Editions de Mirages), Guibert y affirme « le protectionnisme littéraire n’est pas notre fait ». Il livre là l’un de ses meilleurs essais dans une langue haute et aussi l’un des plus admirables livres consacré à la poésie. Soixante-deux ans après, Poésie d’abord prend des accents prophétiques. Réservé sur le surréalisme, Guibert fournit les raisons de ses réticences, se plaçant dans la perspective d’une poésie stimulante contre une poésie de la vie défaite. Il nous entretient de l’héroïsme du poète Georges Chennevière dont il cite cette phrase : « L’air qu’on respire a comme un goût mental ». Il parle aussi du poète Roy Campbell.
Lors d’une conférence faite au Centre universitaire méditerranéen de Nice le 1er janvier 1971, Guibert explique : « La Méditerranée, je rougirais, en un lieu comme celui-ci, de rappeler que c’est, plus qu’une aire géographique, une patrie spirituelle, le lieu de bien des syncrétismes, un creuset. La Mer Classique, disaient jadis les maîtres d’école – la Mer Métisse, j’aime mieux ce qualificatif de Léopold Sédar Senghor – a su depuis des siècles façonner selon le génie qui lui est propre, des Barbares, au sens grec du terme, prédestinés. »
Rigoureux et paresseux à la fois, humble devant ses écrits, il lui arrivait encore sur son grand âge, en parfait discoureur, de parler en public de Pessoa ou de Senghor. Ce discret voyageur voyait ses terres d’élection envahies par les touristes et éprouvait à leur encontre un dégoût qu’il s’efforçait de dissimuler. Son œuvre aussi dispersée que celle de Vialatte en son temps mériterait d’être réunie en volumes. On découvrirait alors un poète et prosateur de premier plan, la pièce-maîtresse du va-et-vient entre la France et l’Afrique dont il fut un des artisans, actif et désintéressé.
Deux vers d’Oiseau privé résument ce que fut une journée d’Armand Guibert : « Autrefois, hier encore ô passé/ Plus vain qu’un souffle sur les cèdres. »
Il est mort en 1990.

L’apostolat méditerranéen d’Armand Guibert Par Alfred Eibel
Le Matricule des Anges n°27 , août 1999.