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Domaine français L’enfance barbare

octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28 | par Thierry Guichard

S’il évoque la soumission, la sexualité et la violence, le nouveau roman de Christophe Honoré délimite aussi le territoire d’une idylle et d’une Rédemption.

Si vous atteignez la page 104 du deuxième roman (pour adultes) de Christophe Honoré, vous n’en sortirez pas indemne. Lorsque le livre s’ouvre à nous, un crime a eu lieu. Nous sommes dans le réfectoire d’une colonie de vacances, les gendarmes sont là. Deux enfants, Jérémy et Steven sont embarqués. Ce qui s’est passé dans la nuit ne nous sera décrit qu’à partir de la page 104. Mais on sait, on devine, que le drame est proprement inimaginable, qu’on ne peut pas même l’évoquer. Il suffit pour cela d’observer les réactions du corps social pour comprendre la violence du cataclysme qui vient de s’abattre. Dehors les filles chantent, comme pour dresser autour d’elles un mur sonore. Dans le réfectoire, Aude, la directrice, explique aux forces de l’ordre comment il convient d’entretenir un aquarium, elle offrirait même à boire aux pandores, comme s’il y avait urgence à meubler le silence. Il s’agit bien de meubler : le crime commis par les deux enfants a ouvert un vide immense dans la communauté. Parler revient à distraire soi et les autres de la seule pensée de l’horreur.
Pour Baptiste, le frère aîné de Steven, parler est vital autant que vain. Baptiste a rencontré Aude le lendemain du drame. Ils vivent aujourd’hui ensemble une vie de jeune couple. Mais lui veut sans cesse qu’elle revienne dans le détail sur les événements du passé, en même temps qu’il sait l’incapacité de la parole à reconstruire l’indicible. Le roman s’offre ainsi comme une scène de théâtre où tour à tour les protagonistes s’avancent, s’extrayant du noir complet, pour venir dire comment le drame s’est noué et ce qu’ils en vivent aujourd’hui encore. On voit donc Steven s’avancer. Il a onze ans et en arrivant à la colo, il quitte pour la première fois ses parents mais surtout son grand-frère Baptiste, de sept ans plus âgé. C’est peut-être la fin de l’idylle, les premières oppositions entre le désir (affectif) et la soumission aux lois. Ainsi la mère de Steven n’est-elle pas autorisée à donner à son fils l’argent de poche qu’il désire. Elle se soumet, il en est déçu. Seule entorse au règlement : elle lui donne un tube de Ventoline pour combattre l’asthme : « elle m’a dit que je devrais toujours le cacher ». Le lecteur verra combien ce tube est devenu un objet de transfert sentimental.
À peine arrivé, Steven rencontre Jérémy : « il s’est avancé à quelques centimètres de mon visage. J’ai pensé qu’il allait me mettre un coup de boule. Il m’a embrassé sur la bouche. » Coup de foudre.
D’autant plus violent que la colonie est un lieu où les règles communautaires sont nombreuses (notamment concernant la propreté) et que Jérémy n’en a cure. « Mon amoureux a les cheveux roux, raides, en brosse, décoiffés. Il se lève le matin et il n’y touche pas ».
Provocateur et précoce, Jérémy se verra confier un jour la direction d’une marche à travers la forêt. Il prendra volontairement un mauvais chemin pour mesurer, à travers le suivisme des autres, le pouvoir que son autorité lui donne.
Une nuit, Steven est réveillé par Jérémy qui l’entraîne hors des tentes du bivouac. Près des cendres du feu, un corps est étendu. C’est celui d’un autre enfant de la colonie que le rouquin a tué. L’initiation sadomasochiste se fait sur ce corps-là qui sera défiguré à coups de pierre, violé, mutilé et empalé. À l’aube, les enfants n’auront pas réussi à faire disparaître le cadavre au visage brûlé. Le récit de la nuit est insoutenable : le lecteur est touché dans son corps.
C’est que l’écrivain affronte le mal. Il le décrit sans complaisance mais sans pudeur aussi. Il le fait surgir sur la page mais en nous également. Il refuse que sur cet acte barbare ne soient mis que les mots de la gendarmerie, ceux d’une société qui en élimine le sens. Il refuse l’évacuation, par la diversion, de la vision brute de ce qui constitue notre part obscure.
Ce travail, Baptiste va aussi s’y engager grâce à son frère. Informés qu’un drame a eu lieu, les parents partent en voiture vers la cité balnéaire où se trouve la colonie. C’est l’aîné qui conduit parce qu’il va passer bientôt son permis : « Pendant tout le trajet, mon père m’a fait des recommandations, attention tu serres de trop près, là tu peux doubler, tu ne regardes pas assez dans le rétroviseur. » Ne pas affronter l’horreur : lâcheté du père. Arrivés au commissariat, ils voient Steven de l’autre côté d’une vitre. Ils acceptent qu’il soit « enfermé dans une cage. (…) Nous nous sommes tous soumis, personne n’a protesté. » Cruauté de la situation : aucun des parents n’ose demander le droit de parler à leur fils et ils vont rester silencieux de longues heures, jusqu’au moment de partir dîner. Ce n’est qu’alors qu’ils se rendent compte que la vitre était perméable au son et qu’ils auraient pu, tout ce temps, parler avec leur fils. La soumission a conduit au sentiment de culpabilité.
Aujourd’hui Steven est dans une sorte d’asile psychiatrique et Baptiste voudrait quitter Aude. À cause, peut-être, d’un enfant qu’elle aurait dû avoir et dont il ne voulait pas. Ce nouveau drame, Christophe Honoré en fait ressortir toute la cruauté en donnant à Baptiste les habits de la lâcheté héritée du père. Lentement le couple se défait car il n’est pas pour Baptiste le lieu de la « vraie vie ». Peu à peu, l’objet de sa quête apparaît : c’est le lieu de l’idylle, l’enfance d’où son frère a lancé son message sanglant. L’aîné ira retrouver le benjamin et leur escapade paisible fera naître une lumière d’une incroyable douceur.
Ainsi donc La Douceur porte bien son titre : Steven dans son besoin absolu d’amour et de tendresse ressemble au fleuve dont Brecht disait que ce n’est pas lui qui est violent mais les berges qui l’enserrent. Le roman nous fait sentir l’horreur de la barbarie (mais une barbarie intime) et nous désigne également la voie d’une possible Rédemption. Les sentiments qu’il fait naître sont aussi forts que contrastés, et convoquent en nous une part violente de notre inconscient. On en sort le cœur affolé. N’est-ce pas là aussi le rôle de la littérature ?

La Douceur
Christophe Honoré

Éditions de l’Olivier
155 pages, 90 FF

L’enfance barbare Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°28 , octobre 1999.
LMDA PDF n°28
4,00