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Domaine étranger Chanson de gestes

octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28 | par Dominique Aussenac

Avec ce 5e roman traduit en français, la Portugaise Lídia Jorge poursuit son travail de réanimation des âmes. Magique, aérien, étourdissant !.

La Couverture du soldat

Qu’est-ce que vivre ? Ne rêvons-nous pas nos vies ? Qu’en est-il du réel et qu’est-ce que la fiction ? L’écriture peut-elle consigner le réel ? La fiction n’est-elle pas un amoncellement de réalités ? Comment écrire au plus près l’émoi, la palpitation, l’âme humaine dans tous ses états ? Ces questions sont autant de lignes de force qui sous-tendent l’écriture de Lídia Jorge, écrivain portugais, née dans l’Algarve en 1946. Le Jardin sans limites (cf. lmda N°25) décrivait les locataires singuliers d’une pension de famille lisboète. Ceux-ci manageaient un homme-statue se préparant à battre le record du monde de l’immobilité. Chacun d’entre-eux venait se confier à une femme écrivain. Cloîtrée dans sa chambre, elle enregistrait leurs aventures et traçait sur les murs d’étranges graphiques reproduisant l’intensité de celles-ci, les nœuds de vie, les nœuds de mort. Dans La Journée des prodiges, la narratrice reprenait un récit écrit vingt ans plus tôt en le confrontant à la principale héroïne, femme d’un soldat portugais devenu tortionnaire au Mozambique. Le récit, la mémoire redevenait vive, créant une profondeur de champ assez extraordinaire aussi réelle que fictive.
Ce qui surprend chez Lídia Jorge, c’est l’important travail de construction, l’architecture des romans où la modernité s’installe sur des fondations mythiques, antiques. Autour de la narratrice, isolée, dans sa tâche de retranscription s’élèvent toujours des chants contradictoires issus de polyphonies, de chœurs formés par les autres protagonistes des récits. Ceux-ci rajoutent des détails, nient, ouvrent d’autres pistes interprétatives, chantent les louanges ou dénigrent. Mais Lídia Jorge cherche plus à décrire au plus près les âmes qu’à dire la vérité. Ces âmes, elle les polie, les patine jusqu’à les mythifier. Ces récits portent ainsi les stigmates d’autres drames, se construisent sur d’autres tragédies. Christique, messianique dans Le Jardin sans limites, elle reprend les personnages de la guerre de Troie, Hélène et les guerriers dans La Journée des Prodiges.
La Couverture du soldat, son nouveau roman a pour substrat de base l’Iliade. Imaginons une Pénélope qui tisserait la toile d’un père absent, bourlinguant autour du monde. En tissant, elle le réinventerait, supprimerait son extrême mobilité en élevant une statue parfaite d’un père aimant sa fille, partageant ses secrets, dans le silence au milieu de l’adversité, la mesquinerie, voire le chaos. « Walter ne venait pas seulement d’Australie, il venait d’Afrique, il venait d’Afrique du Sud, du Tanganyika, d’Angola, il venait des côtes de l’Amérique du Sud et des Caraïbes, des Antilles, il venait du Nord, de l’Amérique du Nord, des terres froides du Canada. Il apportait un morceau du monde avec, l’âme du monde, la sensation du mouvement à travers l’espace. » Ici, Pénélope n’a pas de prénom, elle est la fille de Walter Dias du clan des Dias. Un clan accroché à la terre portugaise où domine la figure du père, Francisco, être dur à la tâche, autoritaire qui contrôle tous ses enfants. Tous sauf Walter qui refuse l’enracinement. D’une aventure avec Maria Ema, une jeune voisine va naître un enfant. Walter, poussé à fuir, s’engage dans l’armée et parcourt le monde. Son frère aîné, Custodio le boiteux épouse Maria Ema et reconnaît le bébé. Une petite fille qui se construit dans le mythe du père absent. De lui, elle ne reçoit que des dessins d’oiseaux exotiques, sa couverture de soldat et un revolver. L’enfant grandit alors que tout autour d’elle la famille détruit en la salissant l’image de l’absent. À trente-cinq ans, elle se décide enfin à rencontrer son père, tenancier de bar en Argentine pour lui poser une seule question. « Et sa fille s’approcha de lui et lui demanda de lui dire une bonne fois pour toutes pourquoi il dessinait ces oiseaux partout où il passait et maintenant il voulait lui faire croire que ç’avait été pour rien ? Ne comprenait-il pas qu’il était essentiel de lui répondre ? Et lui, lourd, désirant se soustraire à sa vue, disparaître par la porte le plus vite possible, lui répondit : « Ne te fais pas d’illusions, ça a toujours été pour mon plaisir, rien d’autre… » »
Lídia Jorge décrit le changement qui s’opère dans les êtres, en même temps que les mutations de la société portugaise. Passage de la société agraire repliée sur elle-même à une autre société de loisirs incluant le tourisme, alors que l’émigration de Portugais vers le monde entier bat son plein. Le rapport immobilité/extrême mobilité est récurrent dans l’œuvre de Jorge, renforçant le rôle de la narratrice qui devient un personnage à part entière, mystérieux, angélique, qui marche dans le grenier de nos têtes, jusqu’à danser à l’instar d’un derviche. Pour nommer l’héroïne, elle n’utilise que ce statut évident, tu par tous les protagonistes : la fille de Walter. Cette expression se répète, s’amplifie, est mise en écho d’une manière un peu durassienne sans que le style, la forme en adoptent l’austérité, le dépouillement. L’écriture se déploie ici en volutes descriptives, lyriques. Puis brutalement, la fille de Walter se met à parler à la première personne et ce je devient aérien, poignant, pathétique. Les effets de flash-back, le travail de mémoire, d’amour de la jeune fille, de création de l’image du père induisent un rapport au temps particulier. Celui-ci se compresse, s’étire en fonction des rencontres, des absences, des silences, des émois. Lídia Jorge a le pouvoir de donner vie aux âmes, les faisant voleter, palpiter somptueusement, satellisant le lecteur dans ce grand mystère de la création, ce poudroiement des origines et des fins, ce grand silence. Démiurge ? Non écrivain humain, très humain !

La Couverture du soldat
Lídia Jorge

Traduit du portugais
par Geneviève Leibrich
Éditions Métailié
201 pages, 100 FF

Chanson de gestes Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°28 , octobre 1999.
LMDA PDF n°28
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