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Poésie Jacques Dupin : Le vers jeté à la diable

janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29 | par Emmanuel Laugier

Publié en 1971, le premier volume en poche du poète reparaît aujourd’hui augmenté de Dehors (1975) et d’Une apparence de soupirail (1982). Premier pan d’une œuvre majeure où la vie se fait sauvage et vive. À (re)découvrir.

Le Corps clairvoyant

Il s’en faut d’un effondrement, d’une dérive souveraine«  : ces mots, empruntés à La Ligne de rupture, qui ouvre Dehors, pourraient résumer tout le trajet du travail de Jacques Dupin, depuis Cendrier du voyage (G.L.M., 1950) jusqu’à Grésil (P.O.L., 1996). Si le terme de souveraineté, pourtant, n’était un peu haut, ou plus proche de l’ami que René Char fut pour Jacques Dupin, il faudrait alors le remplacer par celui, pas si loin, de souterrain. Une dérive souterraine, tels seraient bien les livres de Dupin. Né à Privas, dans l’Ardèche, en 1927, il passe son enfance entre l’hospice pour fous que son père dirige et le nord de la France. C’est dans cet entre-deux qu’il voyage, relevant là ce qui fera la matière des Mères (Fata Morgana, 1986), livre des matrices sauvages, multiplement explosives, souk de ces femmes folles aux membres désarticulés, puantes, qui entouraient le jeune Dupin ; ici le lien avec la terre, les animaux, puis la guerre… Jacques Dupin forme donc, sans le savoir, dévorant la bibliothèque du père, de Freud à Sade et Lautréamont, le fond de sa vie, les forces mentales de ses livres : il s’en dessine tout le relief d’une écriture qui oscille entre une attention à la matière du réel, ses sautes, ses déflagrations, et ses mouvements les plus impalpables, presque abstraits. Dans cet écart mouvant et dynamique passe, se faufile, ce qui est de l’ordre de l’événement : un mouvement indescriptible, blanc comme le moment de l’éclair, un rapt, souverain cette fois-ci, toujours tangent, oblique, absent et présent à la fois, reconnaissable et invisible, raccordé à la seule expérience que l’écriture est capable de ramener au centre de la vie. Cela fera des livres, dont Char reconnut vite qu’ils eurent  »l’importance que l’on aurait justement refusée aux confidences d’un simple mal d’enfance« . Et Jacques Dupin ira toujours contre ses propres livres, cassant, rompant leur formes, en sachant que  »rien ne passera vivant qu’à travers notre corps« , et encore, dans Gravir, le second livre publié chez Gallimard et repris dans cette édition :  »J’appelle l’éboulement/Et la dislocation du livre/Parmi l’arrachement des pierres« . Le livre, l’écriture, sont pour lui une chiennerie, à griffer jusqu’à crever les grâces du rêve, pour d’autres gisements, d’autres enfoncements. Reconnaissant l’apport du surréalisme, Dupin lance : »« L’œil existe à l’état sauvage », cette seule phrase de Breton contredit magnifiquement l’édifice théorique à soubassement freudien qu’il érige et surtout la codification des procédés et des techniques qu’il en déduit«  (Miró, 1956). C’est l’œil sauvage qui le touche, comme celui de Miró.Et c’est sa démarche à lui, que La Ligne de rupture et L’Onglée (textes finaux de la première édition), vont radicaliser, juste avant que ne paraissent Dehors, en 1975 et Une apparence de soupirail en 1982. Second coup de masse, seconde énergie de virevoltes. Second couteau de rage qu’est Dehors, de transpiration, à l’odeur de pierre à feu, tendu, brillant comme un sexe, aux sons rauques de vers coupés net, reprenant leur élan de sanglier traqué, aux mots du corps, de lieux et d’espaces, de la folie, de l’obscénité, mais aussi vocabulaire presque technique du géomètre et du maçon. Premières lignes de douceur et de rêve pour Une apparence de soupirail,  »qui nous incite à placer ce recueil sous le signe de l’enfance« , comme le précise Valery Hugotte dans sa postface. Mais le dehors revient, le bruit de rongement d’un rat avec. Ce qui compte, précise Jean-Christophe Bailly dans une préface superbe, dense et précise, c’est qu’ »entre le monde et le corps, il y a tout un infini de rapports barattés, centrifuges, que le poème cherche à saisir…« . Et c’est ainsi que Jacques Dupin gagne et s’extirpe du volcan Rimbaldien de Cendrier de voyage, son premier livre.
Nous sommes alors dans les années cinquante. Un désert, comme le précise Dupin dans Éclisse (Spectres familiers, 1992) : en dehors des quelques figures ( »Char, retour du maquis, Artaud, retour de Rodez, Michaux émergeant du « Lointain intérieur », Ponge engagé dans son « Parti-pris »« ), la poésie en train de se faire restait soit absente, soit jouissait d’une reconnaissance populiste (les poètes de la résistance, etc.) basée sur des malentendus croissants. Pour couper court, Dupin travaille dans l’ombre, avec les peintres et les sculpteurs (Miró, Giacometti, Calder, De Staël, Braque, Tàpies, Bacon…) il trouve les espaces béants où inscrire ses préoccupations : Dehors s’achève ainsi par le poème Malévitch où l’expérience se compare alors à un »exercice déme/suré du voir et du surplomb comme à travers la faille / d’une trépanation« . Il écrit sur Reverdy, l’un de ses alliés substantiels (selon Char), Char, mais aussi sur Chapurlat (Dehors), son compagnon étrange de l’hospice Sainte Marie. Puis ce sera l’aventure de la revue L’Éphémère, créée en 1967 en compagnie d’André du Bouchet, Yves Bonnefoy, Louis-René des Forêts, Michel Leiris, Paul Celan, Gaétan Picon… Débat, cohésion d’un groupe que l’amitié, dans son sens le plus profond, rassemble, l’année suivante Jacques Dupin écrit dans L’Irréversible (mai-juin 1968) ceci, comme pour rappeler que la poésie est nécessairement, dans ses fabriques souterraines, une po-éthique, qu’elle fait face au mal, s’y rompt et y aiguise son couteau :  »Ce qui retient (…) des circonstances et des effets d’un phénomènes de société, c’est le non-sens de l’événement. Son obscurité qui nous lie. Son devenir et son rayonnement qui nous questionnent, révoquent une part de nous-mêmes, confirment une part de nous-mêmes, nous engagent dans une entreprise d’élucidation, entrecoupée de rires et de violences« . Acte d’écriture non pas anecdotique ni ponctuel, mais ramené depuis l’énergie que l’écriture et ses expériences impliquent, forcent, assaillent, rassemblent. Dehors poursuivra :  »À l’Institution, à ses crimes, l’écriture est liée malgré son exécration, par le double fil lâchement tressé, de sa dépendance et de sa dissidence. Indissociable de la société d’oppression, dont elle est l’otage et l’ornement, elle n’est lisible que dans le rayon de son agonie, dans le souffle anticipé de son explosion, -et comme soulevée par ce souffle…« . Ceci, parce que  »La terreur//au fil des nuits/je l’engrosse comme une laie//dans la ronce au fond des bois« , parce que, écrivait déjà Dupin en 71  »c’est la peau du dehors qui se retourne et nous absorbe« . Parce que c’est là, en ce retournement, que sautent les barrières arbitraires entre l’intériorité et l’extériorité, que Dupin continue d’écrire : De nul lieu et du Japon (1981), De singes et de mouches (1983), Contumace (1986), Chansons troglodytes (1989), Rien encore tout déjà (1991), Échancré (1991). Un air neuf, ouvertement pulsif,  »tellement tendu que j’éclate", et où la vie est saillante, sauvage, incalculable.

Le Corps clairvoyant
(1963-1982)
Jacques Dupin,

Poésie/Gallimard
425 pages, 66 FF

Jacques Dupin : Le vers jeté à la diable Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°29 , janvier 2000.