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L'Anachronique Monsieur, monsieur

mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30 | par Éric Holder

L’une des clauses du contrat qui me lie à cette revue, outre l’amitié que je lui porte, est de ne point écrire sur les livres. Je serais écrivain, n’est-ce pas, et non critique. Je vais pourtant déroger à la règle. Mon enthousiasme est si grand à la lecture du volume que je viens d’achever qu’il me faut le faire partager. Il s’agit du plus récent bouquin de Jean-Philippe Toussaint : Autoportrait ( à l’étranger ). On n’ose écrire « récits », « roman », « nouvelles », tant cela tient du morcelé qui fait un tout, du disparate qui n’en est pas… Du grand art… L’auteur relate sans façons, avec beaucoup d’esprit et des mélancolies subites, le sort qui pend au nez de pas mal d’écrivains : les instituts, les ambassadeurs, la représentation de la culture française ailleurs, les interventions, les conférences. Ajoutons à cela un style serti dans une langue admirable, inventive, folle de virgules placées à l’endroit exact, découpant le texte jusqu’à ce qu’on entende la musique - et ce, dès les premières lignes.
Quand je jouais de la guitare, il y avait une expression, c’était piquer des plans. On prenait une grosse claque, et puis on s’en remettait, on se disait, allez, peut-être qu’un jour on en sera capable. La guitare, la peinture, écrire, tout.
C’est gravé comme dans un disque, la musique de Toussaint. On va lui voler des tournures, c’est sûr. Cependant, une question demeurait : qu’est-ce qui fait qu’Autoportrait ( à l’étranger ) nous plaise autant ?
Je suis seulement en train, dans le train de comprendre. C’est qu’enfin, ainsi que tout véritable livre, celui de Toussaint ramène à ce que l’on a cru pressentir - mais l’affirme, mais le prolonge… Sa très belle et très sage ironie ramenait à un séjour que j’avais fait en Allemagne (restons modeste : s’il avait été à Berlin aussi, ç’avait été le Viêtnam, le Japon, Prague en compagnie de « Madeleine » - et de rencontrer ses traducteurs…et de se rendre aux frais de la princesse dans des restaurants de sushis… Il a beaucoup de chance, ce gars-là ). Moi, ce n’était que Düsseldorf, Köln, München, Berlin également, Passau… La surprise le disputait à la révolte. La surprise, parce que je suis fondamentalement juif, et que certaines personnes étaient fondamentalement merveilleuses. La révolte, parce que d’autres étaient ignobles, et que j’avais promis de rester tranquille jusqu’au bout du périple. Respect à la parole donnée. J’en ai pleuré certains soirs, je n’y pouvais rien, ça sortait tout seul, à flots, une rage intérieure, et je n’avais pas le droit de cogner. Un très beau proverbe hongrois enseigne que l’homme qui ne pleure pas est un lâche.
La surprise tenait dans quelques femmes, parfaitement bilingues, et qui n’avaient de cesse que de faire connaître la culture française à l’étranger - et vice-versa. Il faut savoir que le nombre d’instituts français en Allemagne est un des plus élevés (à l’étranger). Elles se perdaient en conduisant des voitures qui ne leur appartenaient pas, elles avaient des discussions où l’intime se mêlait à la volonté d’en découdre avec le cours des choses, elles allaient dans des tavernes où le coeur régnait en maître.
Il faut également savoir que beaucoup de personnes vivent sur le dos des artistes, quels qu’ils soient, peintres, cinéastes, écrivains. Pas elles, qui ont l’amour profond de ce qu’elles font.
Pourquoi sont-elles plus intéressantes que les hommes ? Pourquoi y a-t-il autant de douceur alliée à tant d’efficacité ? Les réponses parvinrent lorsque je rencontrai Monsieur. C’était donc, lui, l’un de ceux qui vivent aux dépens de la bête. Quarante ans, cravate et costard. Il dirigeait un centre avec l’eau minérale à portée de main, ce qui est bien sûr intolérable. J’appris en cinq minutes qu’il avait fait khâgne, puis déserté ( de quoi ? ), qu’il y avait intérêt à travailler en Allemagne, on touchait des primes de déplacement. A mesure que Monsieur parlait, je sentais les larmes monter à nouveau, bon sang, il ne faut pas que tu pleures, pas devant ce type-là, s’il te plaît.
« Monsieur », c’est drôle, c’est le titre d’un autre très beau livre de Jean-Philippe Toussaint… On ne pouvait pas l’appeler autrement, ce que je fis, on m’avait conseillé de me taire.
Je suis monté sur l’estrade pour dialoguer avec des lecteurs attentifs et incroyables, nous parlions dans toutes les langues ( eux mieux que moi, ça pourrait être du Toussaint, ça ).
Le lendemain, Monsieur téléphonait à l’ambassade pour signaler qu’on voyait mon caleçon au travers des trous de mes jeans. Vous êtes un menteur, mon gars. Mes jeans sont troués jusqu’à la limite d’âge, mais je n’ai jamais porté de caleçon.

Monsieur, monsieur Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°30 , mars 2000.