La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Nouvelles Lazlo, nouvelle de Giovanni Angelini

mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30

44 ans, Giovanni Angelini enseigne l’italien et l’histoire du théâtre en BTS, à Montpellier.Né entre Rome et Naples, il avoue écrire depuis longtemps : quelques revues italiennes et françaises (comme L’Arbre à paroles) ont déjà publié ses poèmes. Il s’intéresse beaucoup à l’Histoire et fréquente un peu moins les bars qu’il ne le fit auparavant.Précisons que, bien que montpelliérain, Giovanni Angelini n’a encore jamais bu un coup avec les anges du Matricule… Parmi les derniers livres lus : Tre Cavalli d’Erri de Luca non encore traduit en français et Vie secrète de Pascal Quignard (Gallimard).

Le bistrot avait été repeint d’une couleur qu’avoisinait celle du glaçon juste plongé dans le « 51 » mais l’éternel Espagnol accoudé au rade qui buvait son « tinto » défiait cet avatar qui se voulait smart et clean. Le seul avantage était la nouvelle vitre dépolie qui offrait une perspective différente comme émiettée. Elle masquait la désolation de l’intérieur aux passants naïfs et arrimait les regards des habitués aux nouveaux feux-follets des façades. La mauvaise musique et l’air consommé sans relâche par les cigarettes réduisaient presque l’espace et les clients grommelaient de verre en verre sous l’œil du patron.
Le bistrot est un lieu bien secondaire où on discute beaucoup des causes premières. Le prologue y est ici aussi important que les discours, de sa qualité dérive la profondeur des paroles, l’envie de continuer en se regardant dans le zinc tavelé de taches, une « Garabagne » où l’élocution se déploie ou bien se délite en haïku tristes et savoureux.
Ici nous n’essayons pas de limiter les dégâts de l’âge : nous les accompagnons fidèles un verre à la main, arrosant ce gaspillage du temps qui est notre liberté, partir à notre guise comme d’autres vont en Amazonie, font du rafting en Ardèche, du ski de fond dans le Jura et le seul hasard, avec le tiercé, est celui qu’on attend de pied ferme tous les jours et qui tous les jours se dérobe et visite un autre bistrot….
Lazlo, orfèvre du silence et du petit rouge, revenait du cabinet du médecin. « Un problème au cœur probablement… Il faudra faire des recherches… des analyses… quelques jours d’hôpital… » Il entamait juste sa retraite et déjà la camarde… Une gêne, un embarras à penser à graver pour la première fois son nom dans l’absence, dans le temps d’un sol nouveau, s’installer à jamais dans la douleur de chaque chose qui lui manquerait définitivement. Dépossédé de sa vie il s’était acharné à échafauder son trépas en forme de cirrhose. Tintin ! Cette maladie de cœur lui volait jusqu’à sa mort, elle devenait ici plus difficile, innaturelle et acharnée. La maladie en devenait secondaire. Acheter, discuter le prix de la niche mortuaire, d’un néant qui n’était pas familier… Gâcher lui-même le mortier pour se préparer « son repos » comme avant il faisait à la sauvette des bricoles pour se payer la bringue, inviter les filles… « Oh ! Crever chez moi où tout est déjà apprêté… »
Après avoir valdingué un peu il s’était posé ici, dans cette ville agréable, facile à vivre.
De Bruxelles il se souvenait d’un Zoo dans la banlieue au nord de tout quartier, des cris de singes exotiques, de Paris l’odeur rance du métro, un relent de mauvaise nourriture, des pommes de terre dans l’air qui lui avaient aiguisé les odeurs de chez lui.
Il avait mis cap au sud. Cap à ce bistrot peut-être où il voyait défiler des types hautains comme au Ritz et d’autres qui auraient eu toujours l’air de quémander même drapés de champagne. De tous ces lieux il connaissait le refrain du grincement des brouettes, la dureté du ciment au petit matin et les miettes sur les comptoirs des premiers cafés ouverts.
On mesure le vrai habitué à l’aune des jours passés à balafrer le temps avec l’alcool. Ces figures étrusques accoudées au rade seules et alertes en ce règne d’absence, sont une sorte d’argonautes échoués dans un deuil inauguré à chaque verre. Dans ce désordre, dans cette errance des langues naît l’esquisse d’une harmonie âpre, d’un alphabet fantôme dont le buvard en est le comptoir et sa polychromie bossue.
Le dernier verre et le soir s’enténèbrait déjà dans les recoins, les rues devenaient des tracés fortuits. Les phares tailladaient cette gangue qui s’agglutinait derrière des adolescentes qui rentraient pressées, ignares encore d’appartenir à un corps de femme. La nuit comme une jarre creuse d’où jaillissaient les gerbes des réverbères, l’accompagnait vers la gare.
Après quelques venelles il commençait à entendre le ressac des trains. À la gare il retrouvait son espace en sursis qui émoussait ses angoisses, ici le conviaient ses ombres. Elles se glissaient parmi la foule qui se clairsemait dans le faux-jour du néon. Elles surgissaient de l’escalator émergeant avec l’éclat du corail sauvé du néant… Elles partaient ou bien arrivaient encore, à jamais, à nouveau… Le frère aîné s’accoudant à la buvette face aux rails avec son air traqué… La brune au sourire doré qui l’avait tant aimé et qu’il avait aimée si peu à en être malade, lui demandait un billet au guichet sans le voir. Jeune à jamais dans le souvenir et lui qui se voyait de tout son âge à travers la vitre sale. La vieille tante et sa mère avec leur pas traînant, les cabas multicolores des fruits dans la lumière laiteuse du hall sourdes aux annonces des haut-parleurs s’éloignant emportaient avec elles sa dernière gorgée de vin…
Du bastingage du café les lumières rapides des motos, des voitures dessinaient par moments les troncs des arbres du square en face. Sur les branches nues les silhouettes des étourneaux et des pigeons se détachaient macabres, elles aimantaient le regard dans leur ombre après l’éclair des phares. Il s’engouffrait dans ce ballet éphémère qui avait sur lui un effet talismanique car il polissait ses pensées et elles en devenaient sereines.
Lazlo avait le front haut et le regard voilé, épeuré. Son accent aux saveurs d’épeautre scellait ses rides et sa manière de boire. À ses heures il avait profité de cet exotisme qui émoustillait facilement les femmes et encore maintenant empâté et un peu embu, il provoquait quelques émois. Il connaissait ce manque, cette faiblesse du cœur qui parfois endeuillait sa famille, elle se manifestait au hasard des générations, irrégulière, fantasque. Il se reconnaissait dans cette lignée de rêveurs que nul plaisir ne pouvait guérir, sevrés trop tôt par une pudeur maladive.
Les voitures continuaient à glisser du raidillon du parking en béton au rythme de l’arrivée des trains. « Einmal ist keinmal » il se souvenait de ce vieux proverbe allemand que lui répétait son père au chantier quand il commençait à être trop fier de ses premiers ouvrages « Une fois ce n’est aucune fois ». « Eimal ist keimal » cette devise lui seyait bien car souvent il avait tout et encore recommencé pour sauver quelques bribes de vie qui s’en allait chaque jour par pans entiers comme la part des anges, un gâchis nécessaire qui distillait son temps à lui…
Désormais l’odeur de varech du matin envahissait la lumière qui s’avançait par degrés réguliers sur les chaises chromées. Lazlo regardait les croupes des vendeuses qui astiquaient les parvis des boutiques avec des détersifs aux odeurs qui estomacquaient et donnaient haut le cœur.
L’aubade des autobus qui se perdaient dans les rues mesurait le jour. Peut-être la mort n’est-elle enfin qu’un arrière-goût de mauvais rouge dans un dernier éveil au petit matin ?…. En amont de lui même ce lopin de néant lui manquait, peur risible et douloureuse. « Un blues de plus à me fredonner… »
Ainsi il prit tout simplement la décision de bien se soigner et d’améliorer la qualité de son vin.

Lazlo, nouvelle de Giovanni Angelini
Le Matricule des Anges n°30 , mars 2000.