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Domaine étranger Dimension kurde

mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30 | par Dominique Aussenac

D’un réel absurde, Salim Barakat tire des prodiges exhaltant toute la fureur de vivre d’un peuple réduit au silence et habité par l’imaginaire.

Les Seigneurs de la nuit

Enfant des pays du Nord, entendez par là le Nord de la Syrie où il naquit en 1951, un morceau d’Irak, un bout d’Iran, une tranche de Turquie, Salim Barakat appartient à un des plus importants groupes ethniques dépourvus d’État-nation : le peuple kurde. Depuis des siècles, confiné dans les montagnes, ce dernier se bat pour conserver son identité et acquérir son indépendance dans une des zones les plus explosives de la planète.
Autodidacte, Barakat, pour qui l’oralité constitue un substrat de base dans lequel il puise souffle épique, lyrisme, force imprécations et anathèmes ainsi que des structures narratives proches du conte mais à mille lieux des notions d’espace-temps occidentales, a été secrétaire de rédaction d’Al-Karmel, l’une des principales revues littéraires du monde arabe. Il a participé un temps à la résistance palestinienne, publié plusieurs recueils de poèmes, ainsi que deux récits autobiographiques traduits en français par Actes Sud en 93 et 95 Le Criquet de fer et Sonne du cor !. Le premier est une somptueuse harangue à la terrible beauté de l’enfance. Le deuxième présente les émois liés à la découverte de la sexualité et de la mort. Une haute enfance cruelle, calculatrice, mercantile basculant peu à peu dans le monde agité des adultes. Il a depuis publié sept autres romans dont seul Les Seigneurs de la nuit (1985) vient d’être traduit.
Dans un village kurde, entre deux frontières, la neige, des volutes de poussière ou de plumes, une femme met au monde un enfant prodigieux qui dès sa naissance grandit d’une manière accélérée. En une journée, Baykas, (l’« unique ») devient adulte, se marie, vieillit et disparaît dans la neige, laissant sa famille, son entourage interloqués. La vie continue. Tout autour du village, les contrebandiers s’activent, des razzias, des vengeances s’opèrent. À l’intérieur, certains sont mus par des conduites insensées, bâtissant des murs, obstruant des rues, créant une espèce d’organisation cancéreuse et absurde perturbant la vie communautaire. À un autre endroit un champ de doigts se met à pousser. Appartiennent-ils à ce maître d’école, soupçonné d’activisme communiste et trucidé par des villageois parce qu’il troublait le ronronnement millénaire ? « Quand il vit les doigts pour la première fois, il fut abasourdi et les coupa aussitôt. Le deuxième jour, ils avaient repoussé : il les coupa de nouveau. Et quand il prit conscience que ce coin de terre lui riait au nez, comme on lui eût brandi au visage un titre de propriété, sa colère explosa. Il creusa le sol, le combla, l’arrosa de kérosène. Il cacha sous le mur d’enceinte plusieurs clavicules de mouton sur lesquelles était écrite la sourate coranique de la Chaise. Il urina, il fit même uriner la vache. En vain ! » Chacun malgré la force des liens communautaires semble agité par des conduites vibrionnantes, folles.
Difficile alors de résumer ce roman dont le style, la structure narrative sans vraiment de début, ni de fin, (tout est histoire de recommencement, Baykas aura un fils qui lui aussi consumera sa vie en une journée), les images à la dimension de paraboles ésotériques, le merveilleux (son prosaïsme et son incongruité) évoquent les textes sacrés ; Coran, Bible, écrits de Zoroastre ou encore de Kalil Gibran, auteur du Prophète. Textes qui ici s’atomisent dans une débauche d’actions et de prodiges jusqu’à perdre tout sens et révèlent, exaltent la dureté des conditions de vie, la cruauté d’un peuple déchiré par des luttes claniques millénaires, mais dont la force vitale incommensurable stupéfait et atteint une dimension d’autant plus mythique que ses conduites, ses agissements, ses souffrances se répètent à l’infini à l’instar d’un serpent qui se mordrait la queue dans un éternel présent.
Moins épique, moins ébouriffé, moins émouvant que ces deux précédents ouvrages, Les Seigneurs de la Nuit est un roman dont l’écriture a gagné en maturité et dont la maestria narrative jonglant entre réel et imaginaire amène à un trouble de la perception, une impression de fission. Derrière ces poudroiements de poussière, ces tempêtes de neige, ces volutes de plumes s’agite un monde de tous les possibles, toutes les horreurs, tous les merveilleux, prêt à surgir et à nous happer. Barakat écrit au plus près de l’innommé.

Les Seigneurs de la nuit
Salim Barakat

Traduit de l’arabe
par François Zabbal
Actes Sud
275 pages, 139 FF

Dimension kurde Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°30 , mars 2000.