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Poches L’étoffe des humains

mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30 | par Dominique Aussenac

Acteur, écrivain doué, Sam Shepard replace l’homme au cœur d’un paradis perdu, le rêve américain. Parution de quarante de ses nouvelles.

Balades au paradis

Dans un de ses romans, Jack Kerouac, auteur marquant de la Beat Generation, décrit une virée en bus jusqu’à Mexico au cours de laquelle il noue une émouvante liaison avec une jeune et jolie Mexicaine portant sur le ventre la grossière cicatrice d’une césarienne. La sensibilité de Sam Shepard, moins romantique, moins mystique puise dans la même veine, le goût de la dérive, du voyage (sur terre, il ne supporte pas l’avion), du Mexique (pour son côté non-aseptisé, vivant), enfin celui de la beauté fêlée, blessée, atypique. Au-dessus de son lit-berceau, d’autres prestigieux parrains pourraient figurer : John Fante, Steinbeck, Jack London ou encore Malcolm Lowry. Mais l’écrivain Shepard souffre d’un sacré handicap, il est aussi acteur de cinéma et de théâtre, metteur en scène, scénariste (Zabriskie Point, d’Antonioni en 1970, Paris Texas de Wim Wenders en 1984, etc.), bardé de récompenses. Et le monde de la littérature déteste, particulièrement en France, la confusion des genres, les dons et le succès. Aussi ces recueils de poèmes, monologues, pièces de théâtre (plus de soixante à ce jour, La Turista eut un Obie Award en 1967, tandis que Buried Child remporta le Prix Pulitzer) ou autres nouvelles sont passés à ce jour chez nous relativement inaperçus.
Sam Shepard est né sur une base militaire, en 1943 dans l’Illinois, à Fort Sheridan. Son père entraîne la famille d’une base à l’autre, jusqu’à sa retraite où il achète un ranch dans le désert. Il joue de la batterie. Son fils l’imite, devient batteur d’un groupe d’acid-rock The Holy Modal Rounders dont on peut entendre un titre sur la bande originale du film Easy Rider. Entre-temps, serveur au Village Gate à New York, il écrit sa première pièce Cowboys, jouée au Théâtre Genesis. Il produira une soixantaine de textes en presque quarante ans, aux univers contrastés, opposés : désert/ ville, Ouest véritable/ société de consommation, sacré (chamanisme) et tourisme mercantile, Indiens et Blancs… C’est avec Bob Dylan qu’il deviendra acteur. L’Étoffe des héros, film sur la conquête spatiale (encore le mythe américain des pionniers, de la nouvelle frontière) le révélera au grand public. Lune Faucon et Motel Chronicles (1985, Christian Bourgois), ses premiers ouvrages composés de nouvelles brèves, poèmes, dialogues, fragments de prose expérimentale furent écrits dans les années soixante-dix.
Shepard aime explorer la narration, évite les structures linéaires, privilégie les histoires éclatées, à l’instar des deux auteurs de cinéma et de théâtre avec lesquels il collabore : Wim Wenders et Joe Chaikin dont il fera sienne cette formule : « Peut-être que l’histoire ressemble davantage à des moments, plutôt qu’à cette longue forme épique qui n’a plus aucun rapport avec notre vie, tellement tout est fragmenté et brisé. »
Balades au Paradis renferme quarante nouvelles relativement courtes, écrites dans un style rapide, dépouillé à l’opposé de son écriture théâtrale qui utilise délires verbaux et mise sur des effets faisant émerger une surréalité. De toi je ne suis jamais à distance, écrit d’une page, a l’intensité, la densité, presque la structure d’un texte de chanson. Toutes les nouvelles recèlent une musicalité, un rythme particulier. Shepard aime à parler de tempo, de solo de jazz. Les dialogues nombreux, insistants, vivants placent souvent un des protagonistes dans la situation d’accoucher d’une vérité qu’il porte en lui. Ainsi dans Gary Cooper ou le paysage ?, Shepard pousse une jeune Suédoise dans ses derniers retranchements pour savoir ce qu’elle préfère dans le western. « Bon, mais si vous deviez choisir sans tourner autour du pot, pour vous, le plus important, ce serait quoi : Gary Cooper ou le paysage ? -Oh, mais ce serait terrible d’avoir à choisir entre les deux ! -Mais admettons que vous soyez forcée. Que ce soit une question de vie ou de mort. -Eh bien, je dois dire, le paysage. Ah, vous voyez ? -Mais j’adore les deux »
En carambolant deux, trois événements dans des tranches de vie autobiographiques, il crée une ambiance, un esprit, un polissage du réel. Les chutes, les fins de nouvelles sont brutales ou laissent en suspens engendrant des visions. Tout cela renforce une exaltation quasi lyrique de l’espace, du passé mythique de l’Ouest sauvage, la volonté de retrouver un paradis perdu aujourd’hui perverti par l’homme. Seuls les Indiens ou les chicanos ont encore les clefs de la vraie vie. Peut-être aussi, son père, diminué par une blessure de guerre, qui s’abîme dans l’alcool et dont le fantôme titube à travers ces nouvelles. Son père grandiloquent et pathétique, en crise violente contre ce monde qui récupère et pervertit tout. « Moi, je lui apportais la bonne soupe, il me voyait arriver par la fenêtre et il se mettait à m’aboyer dessus comme un chien. Il me hurlait que manger, il en avait pas besoin. “Manger, c’est pour les vivants !” » Shepard œuvre avec simplicité, lucidité en alternant gravité et humour sur le premier et dernier refuge du vrai, du naturel ; la peau, l’étoffe des humains, qu’il veut maintenir en harmonie avec celle du monde. Il réintroduit l’homme, le sauvage, l’innocence, le culte des origines dans le rêve américain.
Mais ce rêve est crépusculaire depuis longtemps, les westerns n’ont plus lieu d’être. Demeurent des instants, des couleurs, des êtres décalés qu’il dépeint admirablement. « Sur la rive mexicaine du Grand Fleuve, un chien aboie. Un coq, abusé par la lueur du couchant, se met à chanter. Il y a un cochon qui couine, quelque part. Et soudain les rires, la musique sont engloutis par un silence si total qu’on peut entendre les battements de son propre cœur ».

Balades au paradis, de Sam Shepard
Traduit de l’américain par Bernard Cohen
10/18, 296 pages, 47 FF

L’étoffe des humains Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°30 , mars 2000.
LMDA PDF n°30
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