Sorgue N°1
Il paraîtra paradoxal de lancer une nouvelle revue en adoptant pour thème du numéro inaugural « le retrait dans la création poétique ». Mais quand on naît, comme c’est le cas de Sorgue à L’Isle-sur-la-Sorgue, on voisine avec de grands « retirés » évoqués ici : François Pétrarque et Philippe Jaccottet. Mise au monde par les éditions Le Bois d’Orion, Sorgue est un bien joli bébé. L’enfant a déjà quelques traits de caractères de son géniteur : qualité irréprochable de l’impression et du graphisme, goût prononcé pour la poésie et la sagesse, désir de jeter des ponts entre l’Occident et l’Orient, entre le présent et le passé.
L’ouverture est toute emblématique : Christophe Carraud, qui dirige l’impressionnante revue Conférence, propose une traduction de Pétrarque écrit en 1340 alors que la peste ravage la Toscane : « Je vois les temps du monde/ S’abîmer dans la fuite, et les âges ensemble/ Qui marchent dans la mort ». Ève Duperray, conservateur au musée Pétrarque à Fontaine-de-Vaucluse revient quant à elle sur les rapports quasi amoureux que Pétrarque entretenait avec La Sorgue. Le modèle -un texte inédit, une étude- est repris ensuite avec Philippe Jaccottet que Judith Chavanne et André Ughetto accompagnent dans sa retraite. Claire Malroux, traductrice d’Emily Dickinson, propose un magnifique portrait de la poétesse à laquelle, plus que retrait, elle associe le terme de retranchement. Un retranchement qui n’en finit pas de fasciner. Christian Le Mellec, le directeur de la revue, poursuit la thématique en mêlant une étude sur les poètes chinois (Li Po, Wang Wei ou Chiao Tao) nés au premier millénaire et des reproductions de peinture qui font miroir. Mais Sorgue n’entend pas seulement proposer de courts essais : la création a sa place. À la prose très calibrée de Martin Melkonian répond par exemple, celle, plus douloureuse d’un René Pons insomniaque. Le peintre André Gence (né en 1918) se voit offrir un beau cahier de quadrichromies, dans ce dialogue incessant que la revue semestrielle semble vouloir instaurer entre textes et peintures. Les notes critiques, en fin de volume, restent un peu… en retrait (il n’y en a seulement deux) mais on notera que le ton employé par Patrick Krémer est porteur de pas mal d’espérance. Si Sorgue garde cette liberté, on aura plaisir à lire des critiques dont la sincérité n’est pas si courante.
Sorgue N°1 - 123 pages, 130 FF
Le Bois d’orion L’Orée de l’Isle 84800 L’Isle-sur-la-Sorgue