Entre autres paradoxes, l’écrivain Jacques Bellefroid est connu pour ses silences. Deux longues périodes de non publication jalonnent ainsi un parcours que nous n’osons appeler carrière tant il déteste ce type de vocabulaire pour évoquer l’écriture. En 1964, il publie ainsi La Grande Porte est ouverte à deux battants, se fait remarquer puis se tait pendant vingt ans. En 1984, il réapparaît et pendant cinq ans, il publie coup sur coup cinq romans (Les Étoiles filantes ; Le Réel est un crime parfait, monsieur Black ; Voyages de noces ; Le Voleur du temps ; Peines capitales) et un recueil de poésie, Les Festins de Kronos. Puis, mis à part une pièce de théâtre en 1993, Les Clefs d’or, nouveau silence romanesque de dix ans. Et nous voici en 1999 avec la parution d’un épais et ambitieux roman, Fille de joie, puis cette année d’un récit qui flirte avec une forme particulière de fantastique, L’Agent de change. Nous nous situons donc dans une des périodes prolifiques de Jacques Bellefroid. Si nous essayons de connaître les raisons de ces mystérieux silences, après plusieurs hypothèses philosophiquement argumentées, ce grand amateur de vin distinguera le temps de l’écriture de celui de l’apparition annuelle du Beaujolais avant de finalement avouer avec un sourire qu’au fond il n’en « sait foutrement rien ». Et nous n’en saurons pas plus car cet homme à qui l’on a fait une réputation d’incontrôlable détourne souvent la conversation, il cabotine par pudeur et préfère citer d’autres que lui-même. Lillois d’origine, parisien par amour de la ville, Jacques Bellefroid promène dans la vie sa grande carcasse en costume, imperméable et chapeau des années cinquante. Une image de l’écrivain germanopratin lui colle à la peau. Lui qui d’ouvrage en ouvrage (tous aux éditions de la Différence) questionne la Vérité et le Réel s’impose le temps d’une rencontre comme un personnage de fiction, hors du temps, qui incarnerait un certain nombre de paradoxes. Excessif et timide, colérique et simplement gentil, blagueur et terriblement sérieux, cynique et naïf, provocateur et fragile… Et donc très difficile à cerner. Ce qui, malgré sa volonté affichée d’être « transparent » n’est sans doute pas pour lui déplaire. Extrait d’une conversation matinale qui aurait pu être différente, un soir ou un autre jour.
Avec L’Agent de change, on a l’impression que vous avez une prédilection pour les personnages qui sont dans une situation sociale confortable, qui sont arrivés à un certain niveau de réussite sociale et matérielle…
Ces gens-là ne me fascinent pas mais dans le cadre de ce roman, il y a une raison beaucoup plus nécessaire. L’expérience qui arrive au personnage est assez singulière. Il a comme une hallucination, une vision, qu’il va avoir du mal à partager. On peut l’interpréter comme une sorte d’expérience poétique, à la limite du rêve. Et si cela arrive à un jeune poète, cela devient d’une banalité sans limite. C’est le contraire qui m’intéressait. Cela...
Entretiens La vérité des paradoxes
juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31
| par
Christophe Dabitch
On s’étonnait de ses silences, on s’étonnera donc de la régularité actuelle de ses publications. Rencontre avec Jacques Bellefroid, un promeneur des lettres qui aime penser une chose et son contraire.
Un auteur
Un livre