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Revue Un bouquet pour Gertrude

juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31 | par Pierre Hild

En ne cessant de replacer l’écriture devant elle-même, travaillant au corps sa nature, Gertrude Stein a construit une œuvre comme sortie du temps. Un trésor dont l’actualité, créatrice, hante nos contemporains.

Ligne de risque N°13-14

Sur Gertrude Stein

Gertrude Stein (notes, parenthèses et jeux de roses)

Les témoignages de reconnaissance envers l’œuvre de Gertrude Stein ne cessent de s’accumuler, épars -les quelques mots de Jacques Sivan dans le dernier numéro de Java…-, ou regroupés -rappelons l’excellent numéro de la revue If qui lui fut consacré. Grâce à ceux-ci l’influence et le devenir de son œuvre se font jour, par la bande, alors que ses traductions disponibles demeurent bien incomplètes. À ce titre, la conférence Composition as explanation, publiée jadis dans Luna Park, reparaît dans le numéro « tout reprendre » de la revue Ligne de risque. Cette conférence donnée à la fin des années vingt manquait, le volume dont elle est tirée -comment écrire- qui compile des textes tentant de répondre au titre fait toujours défaut.
Tout reprendre, alors, comme s’il s’agissait, une nouvelle fois, de convoquer son nom pour replacer l’écriture devant son origine et sa quête, en ruminant ce singulier traité de style -de composition, plus justement-, œuvre en action qui mâche le limpide et l’énigme, la rupture et le ressassement, ne se découpe pas, ne peut se réduire, nous laisse abasourdis par sa marche, comme s’il avançait d’un bloc, facial, pour nous dire les qualités propre du mot et de sa phrase, dégagés d’a priori. Plus qu’une théorie, voilà une pratique, un exemple, sans commencement, développement ou fin, correspondant parfaitement à la description que William Carlos Williams fit de l’œuvre de Stein : « Bach offrirait peut-être l’exemple d’un mouvement qui n’est pas entravé par le poids d’une intention, contrairement à presque toute musique après lui. La phrase de Stein, non musicale, non nécessaire »elles vivaient très gaies alors« , possède la même qualité de mouvement que celle de Bach. La composition y détermine non la logique, non l’histoire, non le thème, mais le mouvement lui-même. » Ainsi, avec le malaise que provoque l’idée d’un morceau choisi du texte -en ne respectant pas les alinéas, non plus : « je reviens aux phrases comme à un rafraîchissement. Howard leur résiste moins. C’est gentil. Georges va à merveille. Comment aime-t-il l’adresse. Une phrase devrait être arbitraire elle ne devrait pas plaire pour le mieux. Elle ne devrait pas être dérangée. Une phrase a des couleurs lorsqu’elles signifient j’aimais comme de sel qu’on en usât fort peu dans les plats. »
Deux écrivains contribuent à former le bouquet du jour en livrant un hommage fort différent à tout point de vue, si n’était qu’ils donnent à leur manière des aperçus de la figure de Stein éclairant la part identitaire de son œuvre. Les éditions du Rocher livrent bilingues des entretiens que Paul Bowles accorda sur le tard à Florian Vetsch, centrés sur les relations qu’il entretint avec la « mère de l’avant-garde ». Al Dante inaugure une collection « critique » par un « texte -notes, parenthèses et jeux de roses »- de Pierre Courtaud.
On se laisse aisément bercer par la conversation de Bowles, émaillée de souvenirs toujours bienveillants, bien qu’il n’ait pas été dupe des jeux et malices de son aînée -« elle voulait m’exhiber »-, et puisse lui reprocher quelques sorties jugées « réactionnaires ». Les figures défilent : Pound -« S’il se levait… il accrochait une lampe qui tombait. À la fin, elle lui dit : »Je ne veux plus que vous veniez. Je n’ai plus les moyens de vous recevoir. Vous me coûtez trop cher« . »- Hemingway -« Finissez-en avec le verbiage. Concentrez-vous sur ce que vous avez vu, sur ce qui s’est passé »-, la liste est connue. C’est la meilleure part de l’entretien : derrière les traits relevés, les propos, on se prend à la croire présente. Sur son œuvre, on sent, malgré l’admiration, la distance esthétique qui donne parfois un tour léger aux jugements du Tangerois, tour qu’il reconnaît bien lui-même -« il y a chez elle au moins deux manières d’écrire… un style très simple… l’autre étant son écriture expérimentale… peut-être y en a-t-il plus ? ». Si L’Autobiographie d’Alice B. Toklas tiendrait du premier et Américains d’Amérique du second, que faire alors, effectivement, des touchants textes qui relèvent de ce que l’on pourrait nommer son écriture enfantine, comme Paris-France qu’édita Charlot ou Le Monde est rond -toujours disponible en poche et qui peut être un beau premier pas dans son œuvre ?
Pour sa part, Pierre Courtaud, que l’on sent d’une familiarité esthétique plus proche, livre une belle suite de textes courts créés par cette affinité. « Tout le monde reçoit tellement d’informations chaque jour qu’on a plus de bon sens. Tout le monde écoute tant d’informations qu’on oublie d’être naturel. La belle histoire. » Cette réflexion de bon sens de Stein, il l’a faite sienne en donnant un texte à une collection naissante faisant passer un certain naturel de l’écriture avant une volonté informative -l’un n’excluant pas l’autre, qui plus est. En résulte un beau texte polyphonique où la voix de Stein se mêle à la sienne, toutes deux consolidées par un florilège de citations éclairantes. Ainsi, John Cage et le souci de « réaliser les conséquences sémantiques de G. S., de réveiller le son et l’aspect d’un mot et leur rapport avec son sens et de détruire superbement le contexte, les inhibitions adjectives et syntaxiques qui font que toute poésie est verbiage ». Ou, d’après Wittgenstein, « les résultats de la philosophie consistent en la découverte d’un quelconque simple non-sens et dans les bosses que l’entendement s’est faites en courant à l’assaut des frontières du langage ».
Mêlé à ces thèmes, un portrait de l’écrivain se dégage faisant saillir des traits que Courtaud voit s’infiltrer dans son œuvre -l’homosexualité, le bébé, l’inégalable, l’active passive, la distante, la légendaire. Il y a là comme une rencontre avec les failles du texte steinien et une plongée en elles qui est un beau démenti des visions parfois totalitaires et paralysantes que l’on prête à la Gertrude Stein grammairienne. Du texte, de l’émotion, rendant à son œuvre la pluralité de ses roses.

Ligne de risque n°13-14
40 FF
Paul Bowles
Sur Gertrude Stein

Éditions du Rocher
109 pages, 79 FF
Pierre Courtaud
Gertrude Stein

Éditions Al Dante
74 pages, 80 FF

Un bouquet pour Gertrude Par Pierre Hild
Le Matricule des Anges n°31 , juillet 2000.
LMDA PDF n°31
4,00