Cette île au loin, « jetée au bout du monde et laissée à l’abandon », c’est le Timor oriental. Maltraitée par le Portugal, sa « mère patrie », violée par l’envahisseur indonésien, déchirée entre factions rivales, ses blessures laissent échapper ses forces vives, hommes et femmes échoués sur les rives du Tage. Représentant à Lisbonne de la résistance étudiante de 1975, Luis Cardoso est de ceux-là qui écrivent comme on quête, des éclats d’enfance, « des lieux sacrés, des mystères et des envoûtements ». Ses « propres entrailles ».
« J’avais peur de la ville de Dili qui avait grossi comme un boa après avoir avalé un buffle. » À Dili, les civilisations se télescopent, se superposent, s’accouplent. Autour de Cardoso adolescent on écoute du rock, on porte des pattes d’eph, on rêve à de blondes Australiennes, on apprend le catéchisme en tétun, l’hymne national en portugais et les chants sacrés en latin. Entre séminaire et savoir ancestral l’adolescent cherche sa voie, s’invente une langue et raconte, déjà : il puise dans la Bible « des histoires à faire pleurer et à culpabiliser nos ancêtres à cause du présent de leurs enfants. Des histoires encore vécues aujourd’hui ».
« Le fratricide pour destin et la reddition biblique à la fatalité, comme dans les histoires antiques », Timor est cette île au loin que Cardoso visite en rêve. Le lecteur français, nonobstant un lexique providentiel, ne possède pas toutes les clés de ses visions. Cardoso s’en moque, qui dissimule derrière une ironie parfois féroce une nostalgie irréparable, qui au détour de ses phrases convoque des mots magiques, inconnus et multicolores. Autant de fenêtres ouvertes sur un monde perdu. Restent la poésie, une mélodie, un pouls qui bat entre les lignes, des morceaux de phrases comme l’envol éblouissant de grands oiseaux silencieux.
Une île au loin
Luis Cardoso
Traduit du portugais (Timor oriental)
par Jacques Parsi
Métailié
150 pages, 85 FF
Domaine étranger Le Timor revit
juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31
| par
Anne Riera
Un livre
Le Timor revit
Par
Anne Riera
Le Matricule des Anges n°31
, juillet 2000.