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Poésie Il remue encore

juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31 | par Thierry Guichard

Poète et traducteur le Hongrois Miklós Radnóti dressa la poésie face à la barbarie. Parce que parfois la vie ne se trouve plus que dans les vers….

Marche forcée, œuvre 1930-1944

Visage émacié et juvénile, regard triste : lorsqu’on a lu Miklós Radnóti, son portrait suffit à émouvoir. Rarement le destin tragique d’un poète aura à ce point épousé celui d’un continent entier. Marche forcée, dont le titre bouleversant (on verra pourquoi) reprend un des derniers poèmes du Hongrois, se clôt par un récit autobiographique, Le Mois des gémeaux. La Seconde Guerre mondiale, avec laquelle il a rendez-vous, approchant, le narrateur laisse sur le papier une confession : enfant, alors que son père se meurt, il doit aller chercher du secours chez un oncle. Pour cela, déjà, une longue marche le précipite dans la nuit d’un monde hostile. Malgré l’angoisse, l’enfant fait son devoir mais le père meurt. Quelques jours plus tard, c’est sa mère et sa sœur qu’il doit quitter pour aller vivre chez un oncle qui lui apprend que sa véritable mère est morte en couche en offrant également au tombeau le frère jumeau du narrateur. « C’est alors que quelque chose commença dont on ne peut parler que dans des poèmes… »
Dans sa précieuse préface, le traducteur Jean-Luc Moreau revient sur ce destin tragique, marqué dès la naissance par la grande faucheuse. Naissance en 1909, première plaquette publiée 21 ans plus tard. « Vingt et un ans. Christ en automne/ au même âge pouvait avoir/ la même allure : il était blond,/ imberbe encore, et chaque nuit/ faisait rêver des jeunes filles », ces vers publiés dans son deuxième recueil, lui valurent de connaître la censure. La luminosité des poèmes d’alors trouve sa source dans la figure féminine et dans son amour pour sa femme : « Fanny sous le chêne auprès de moi sommeille/ et depuis qu’elle dort tant de glands sont tombés/ que pour elle je me chamaille avec tout ce feuillage :/ elle m’a dit en m’embrassant de veiller sur son repos. » Mais cette image de bonheur calme trouve aussi un écho dans l’épisode de la mort du père que le fils veillait en agitant une branche de noyer pour éloigner les mouches.
Il est étonnant de constater combien la mort et la vie se partagent, dans un entremêlement constant, l’œuvre visionnaire de cet Européen idéaliste. Et engagé aussi : les fruits de la grande crise de 29 enflamment le monde et Radnóti écrit. En 1932 à propos de l’agression japonaise contre la Chine : « (…)Un sifflement : la paix se déchire ! et les morts prolétaires,/ regarde, se défont dans l’air siffleur ». 1937 : « Parce que l’Espagne t’aimait,/ que les amants disaient tes vers,/ ils sont venus, ils t’ont tué ;/ d’un poète que peut-on faire ? ». L’assassinat de Federico Garcia Lorca et la guerre imminente précisent le destin de Radnóti : « celui qui se voudrait poète et libre,/ devant un couteau nu peut-il hurler ? ». Il est réquisitionné en 44 pour le Service de Travail Obligatoire. Face à l’avancée de l’Armée rouge en septembre, les prisonniers sont conduits, à pied, vers le nord. Marche forcée, sans guère d’alimentation, rythmée par les exécutions sommaires des retardataires. À Cservenka 529 travailleurs sont abattus par les SS. Plus loin, ils mitraillent quelques prisonniers, par jeu : le violoniste Miklós Lorsi, compagnon de Radnóti est atteint d’une balle dans la nuque mais n’est que blessé. Radnóti veut l’aider à se relever, un cri : « Der springt noch auf » et Miklós Lorsi est abattu d’une balle au front : « (…)Comme une corde qui saute,/ son corps, roide, s’est retourné/ (…) Der springt noch auf, aboyait-on là-haut./ De la boue et du sang séchaient sur mon oreille. » Radnóti copie ces vers le 31 octobre 1944 dans l’enfer de cette marche macabre. Ce sera son dernier poème. Le 9 novembre il est exécuté, sur le bord de la route, avec 21 autres prisonniers. En découvrant le charnier, on trouvera sur le corps du poète un carnet où figurent ses derniers poèmes. Et cinquante-six ans plus tard, cette poésie-là nous touche et nous bouleverse. Oui « Der springt noch auf », il remue encore…

Marche forcée
Miklós Radnóti

Traduit du hongrois et présenté
par Jean-Luc Moreau
Phébus
188 pages, 119 FF

Il remue encore Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°31 , juillet 2000.
LMDA PDF n°31
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