On a affaire ici à un genre qui ne tient qu’à la délicatesse et à la justesse du ton. La narratrice de La Belle Écriture est en effet une femme, une mère plutôt, qui fait à l’adresse de son fils le récit de sa vie dans un village du sud-est de l’Espagne. Une vie simple comme on pourrait le dire d’un point de vue extérieur, avec cette nuance de mépris que l’on réserve aux masses dites laborieuses, de laquelle on espère bien entendu se distinguer. Mais surtout une vie avec ses déchirements, ses espoirs et ses hésitations que la génération suivante, presque par définition, est incapable d’imaginer quand elle a devant elle ce parent dont l’existence semble se résumer à si peu de choses. « J’avais du chagrin pour nous, pour tout ce que, jeunes, nous avons espéré, tout ce pour quoi nous avons lutté, pour les chansons que nous savions par cœur et chantions - »yeux verts, verts comme le blé vert« , pour les moments où on riait et les mots qu’on se disait pour se caresser le cœur ». Une jalousie et une haine secrètes pour une tante que son fils aime bien sans en connaître le passé, une passion amoureuse qui ne sera jamais dite, le peu d’amour que son mari lui accordait…, cette femme déroule les événements de sa vie avec une mélancolie peut-être salvatrice. Car il s’agit, pour son fils qui ne la comprend pas, de sauver pudiquement ce qui fut la profondeur d’une vie parmi d’autres et de briser l’épaisseur de silence et de mensonges qui l’entourent.
Même si le titre, affirmant la beauté de cette écriture-là face à une autre pseudo-littéraire vantée par un des personnages, n’est pas très convaincant, Rafael Chirbes a trouvé un ton qui évite les écueils du genre. Assez proche dans l’esprit du roman de Maupassant -Une vie-, l’auteur reste au plus près de cette voix fragile et touchante à même de disparaître.
La Belle Écriture
Rafael Chirbes
Traduit de l’espagnol
par Denise Laroutis
Rivages
158 pages, 89 FF
Domaine étranger Le fil d’une vie
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Christophe Dabitch
Un livre
Le fil d’une vie
Par
Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.