Ce que je ne t’ai pas dit c’est que je chemine souvent sur le trottoir idiot dans la nuit droit comme un « i » -comme si je montais au front et que je devais donner l’exemple ? Ce que je n’ai pas dit c’est que dieu chante faux sur les lasers radieux des cieux. Ce que je ne t’ai pas dit c’est le bruit impossible qu’engendre mon sac à roulettes qui va et me suit débile tel un tank ayant fui la bataille du Golan pour quémander le pardon improbable de Guderian et Rommel à cette heure encore en exil je crois. Ce que je ne t’ai dit pas c’est que j’ai tourné la tête et si j’ai vu quelque chose dans la vitrine c’est une tête de mort -ça ne m’a pas fait vraiment plaisir seulement que me reprocher que je ne m’étais pas déjà reproché ?
Puis les lumières les arbres et leurs frondaisons se sont tous penchés au-dessus de moi et j’ai ouvert la porte de l’immeuble et c’est comme ça que j’ai disparu. Ce que je ne t’ai pas dit c’est mon doute qui me précède comme une ombre. Ce que je n’ai pas dit c’est que je ne sais plus rien. Je monte l’escalier -plus tard je me coucherai et très tôt je m’éveillerai je serai fatigué mais que faire contre la peine ? Ce que je ne t’ai pas dit c’est que je reviens souvent là où j’ai habité. L’explosion qui m’a tué n’a pas projeté mon ombre contre les murs blancs et ces pleurs rouges sous l’œil triste de la fenêtre voilée ne sont que des souvenirs de peinture -rien avoir avec du sang. Chez ex-moi je vois mon fils -tel un petit poisson il frétille sagement dans la poêle sauvage de son bocal. Chez ex-moi je vois celle que j’ai ex-aimée -elle semble vouloir occuper l’immense espace de notre histoire passée en courant follement aux quatre coins. Cependant ce jeu est tombé en désuétude et celle qui ne crie pas n’est pas entendue et quel serait son cri si elle criait ? Que dirait-il ? Ça je ne le sais pas. Ce que je ne t’ai pas dit c’est pourquoi toujours vouloir trouver le mot juste ? Il n’y a pas de mot juste il n’y a rien de tout à fait juste dans ce que produit l’homme. Ce que je ne t’ai pas dit c’est que cette oie qui passe tête coupée c’est moi. Ce que je ne t’ai pas dit c’est qu’au bout de mes bras ce sont des mains que tu vois et qu’elles doivent produire et agir et que ça me fait hurler de peur. Ainsi l’oie qui passe jappe et tombe ridicule -et tout le monde rit n’est-ce pas ? Ce que je ne t’ai pas dit c’est le combat en moi. L’un contre l’un ils s’entrechoquent ! Oh ce ne sont pas des titans loin de là mais leur détermination est farouche. L’un et l’un veulent gagner l’unique peau de moi et ça serait bien qu’enfin je me débarrasse de toute fatalité -c’est une poésie à quatre pieds qui prend l’eau. Enfin ce que je ne t’ai pas dit mais que tu sais c’est qu’elle a des yeux étranges cette femme apparue dans ma vie. Mais ce que tu ne sais pas et ce que je ne t’ai pas dit c’est que cette lune blanche qui descend du ciel sur moi tout doucement fendue c’est son cul -en vérité je veux vivre ! Et le chant monte et...
Dossier
Richard Morgiève
Ce que je ne t’ai pas dit
janvier 2001 | Le Matricule des Anges n°33
| par
Richard Morgiève