Dans une langue simple et rugueuse, sans pathos ni épanchement, Véronique Olmi nous plonge dans un drame sans issue. L’horizon n’est que boue.
Avant ce remarquable premier roman, Véronique Olmi a publié plusieurs pièces de théâtre et un recueil de nouvelles aux éditions de l’Arche en 1998, Privée, où étaient déjà abordés les thèmes de la solitude et de la misère humaine. Le métro qui « charrie en bas, en creux, plus profond que la mer ; (…) charrie des détresses souterraines et des suicides différés » y broyait des existences friables et desservait des voies sans issues. Si c’est de Bord de mer qu’il s’agit ici, on est loin du cliché chromo d’enfants s’ébrouant dans le bleu sirupeux d’un littoral de carte postale.
« On avait pris le car, le dernier car du soir, pour que personne nous voie. » Dès la première page, une voix s’élève, et nous entraîne avec elle dans une nuit sans étoiles, où sourd une fuite en avant. Cette voix, c’est celle d’une mère, seule avec ses deux garçons, Stan, 9 ans, « qui demande rien« et »ressemblait à l’aîné avant que Kévin soit né » et son petit frère de 5 ans, et qui décide un soir de les emmener voir la mer : « Ça faisait un drôle d’effet de quitter la ville, de la laisser pour aller dans un endroit inconnu, surtout que c’était pas les vacances, et ça, ça trottait dans la tête des gosses ». De quel gouffre nous parle-t-elle ? Le récit passe de l’imparfait au présent de la narration, les unités de temps, lieu, action se perdent dans le flux de la langue pour ne laisser prise qu’à un désespoir grandissant. D’elle on ne saura rien sinon cette honte qui lui vrille l’esprit, cette angoisse qui la ronge : « La nuit je dors mal. L’angoisse. Je pourrais pas dire de quoi. C’est quelque chose de posé sur moi… comme si on s’asseyait sur moi exactement ». Tout se mélange ; « On était dans la nuit, dans le bruit, on traversait des lumières, on dépassait des camions, on dépassait mais pour aller où exactement ? », dans la ville inconnue, ils ont « l’impression d’avancer sur un chantier, pas sur un trottoir, à moins que ce soit une ville sans trottoir ». Il pleut et tout prend la couleur de la boue, à l’hôtel « c’était comme entrer dans un tunnel, un passage souterrain, on pouvait pas s’imaginer comment elle serait la chambre, tout était trop marron, trop sombre, ça ouvrait pas de perspective ». La réalité se dérobe, le paysage se fait hostile, métaphore vive du paysage mental de la narratrice qui devient sable mouvant : « Ça s’est mis à parler tout seul dans ma tête, j’aime pas ça, c’est une sale bestiole la pensée, des fois j’aimerais mieux être un chien. Les chiens c’est sûr se demandent jamais où est leur place ni qui ils doivent suivre, ils lèvent leur truffe et tout est enregistré, calé pour toujours. Ils s’y tiennent. Les hommes manquent d’odorat, voilà le danger ». Le lendemain il pleut encore, la mer « ressemblait à un torrent de boue, elle avait la couleur du ciel, je veux dire que même là c’était comme à l’hôtel : cette impression d’être dans une boîte en carton ». Le monde se retire et la solitude se referme inexorablement ; tout semble échapper à cette mère, même ses enfants : « Stan s’était éloigné, il courait sur la plage dans tous les sens comme s’il était poursuivi, (…) Stan m’entendait pas. J’existais plus. J’avais plus de voix, plus de parole, rien pouvait le rattraper. Je me suis tue. Les habits trop grands de Stan bougeaient tout seuls dans le vent, il m’a fait penser à un bateau. Je savais pas ramener les bateaux ». Que lui reste-t-il alors ? Véronique Olmi nous entraîne dans un drame sans fond, bouleversant, et l’on referme ce livre, submergé par une émotion déflagrante, sans voix.
BORD DE MER
VÉRONIQUE OLMI
Actes Sud
122 pages, 79 FF (12,04 o)
Domaine français Vue sur l’amer
août 2001 | Le Matricule des Anges n°35
| par
Catherine Dupérou
Un livre
Vue sur l’amer
Par
Catherine Dupérou
Le Matricule des Anges n°35
, août 2001.