Le dernier combat dénude celui qui le mène et révèle celui qui l’accompagne. Pierre Pachet a aimé et admiré jusqu’au bout sa femme, victime d’un cancer.
Certains se souviennent d’un court récit qui disait la maladie et la mort de Gérard Philipe. Le Temps d’un soupir, d’Anne Philipe, était un beau récit d’amour. Plus près de nous dans le temps, le peintre Bernard Dufour (Le Temps passe quand même, Bourgois) ou l’écrivain Christian Bobin (La plus que vive, Gallimard) ont dit l’écroulement du monde que représenta pour eux la disparition de l’être aimé, compagne d’une vie ou d’un segment de vie. La diversité des auteurs et des personnes aimées, la façon singulière d’évoquer un être dans son idiosyncrasie font que ces livres ne se ressemblent guère. Pourtant, lecteurs, nous les unissons plus que nous ne les comparons.
Bernard Dufour est impudique en ce qu’il clame sa douleur et, s’il dit son désir pour la femme qu’il a aimée et qu’il a peinte, il ne nous laisse pas ignorer l’appétit sexuel qui perdure après la perte de l’objet d’amour. Christian Bobin se situe sur un registre plus universel tout en décrivant la singularité d’un rapport plus récent. Pierre Pachet, à qui l’on doit tant de livres remarquables (Du bon usage des fragments grecs, Autobiographie de mon père, Nuits étroitement surveillées), se situe sur un registre qui respecte les conventions fondamentales de la pudeur. Il aborde avec tact les aspects physiologiques de la maladie et, dressant le portrait de la compagne aimée, décrivant son courage pour aborder les épreuves d’un cancer vainement traité pendant deux années à l’Institut Curie, il revient sans cesse sur une vie commune qui semble avoir été épanouissante pour lui et plutôt harmonieuse.
Mais, s’il décrit le rapport de Soisic à la nourriture, et plus encore à la cuisine, ou même son goût du vêtement -moins la mode que la recherche d’une adéquation d’une vêture à son corps-, s’il nous raconte ses humeurs et sa vitalité, il garde secret le domaine d’Éros. Rien ne transparaît de ce qui a fondé dans son intimité la vie du couple. Ce choix délibéré et revendiqué n’a pas à se justifier mais il prive le lecteur d’un élément de connaissance sur le fonctionnement du couple que par ailleurs l’auteur saisit dans l’attente de l’inéluctable. Que pense celui qui va mourir ? Quelle idée se fait-il de la vie qu’il a menée avec celui qui persévérera encore un peu dans l’être ? Quelle idée se fait-il du devenir de l’autre ? Arthur Schnitzler posait ces terribles questions dans Mourir.
Sous-jacente à chaque instant, une interrogation paraît inépuisable : quel est cet être auprès duquel nous vivons, qui nous échappe et qui un jour s’en va parce que la maladie met un terme à son existence ? Disparu, il nous habite encore, il nous hantera jusqu’au dernier jour. Ce livre -ce type de livre serait-on tenté d’écrire- a pour fonction de retenir ce qui nous échappe. Et l’on y trouve à chaque instant la trace de cet effort pour éviter de se laisser envahir par le nouveau, la peur de trahir et se trahir. L’écriture participe de la thérapie, elle constitue un élément du travail du deuil dont elle rend compte.
Le plus dur avec une telle mort, c’est peut-être de devoir en prendre son parti, de voir l’autre se faire à cette idée. Pierre Pachet nous dit les moments où sa femme se détache de la vie, lors d’un trajet en bus dans Paris, ou bien le jour où elle regarde pour la dernière fois leur cuisine, ou quand elle se soucie du repas des êtres qui lui sont chers, alors qu’elle-même ne confectionnera plus aucun mets, qu’elle ne peut plus s’alimenter.
ADIEU
PIERRE PACHET
Circé
128 pages, 98 FF (14,94 o)
Domaine français L’accompagnement
août 2001 | Le Matricule des Anges n°35
| par
Jacques Goulet
Un livre
L’accompagnement
Par
Jacques Goulet
Le Matricule des Anges n°35
, août 2001.