West Table, Missouri. Tout se délite ici, se décompose pour ceux qui sont nés dans la boue. Les personnages de Woodrell se heurtent à une fatalité qui les dépassent, qu’ils soient voyou, flic, prostituée ou ex-taulard. C’est leur sol de naissance qui plombe leurs semelles et les empêche d’avancer.
Si l’entrée du roman est fracassante, mouvementée, c’est qu’elle a été préalablement poudrée de cocaïne. La descente n’en sera que plus douloureuse.
Un soir, Sammy Barlach, manoeuvre dans une usine de nourriture pour chiens, tente en effet de faire face à une défonce prononcée qui le plonge dans une réalité cotonneuse et sale : « La brume me semblait une langue humide au sein de laquelle je m’enfonçais inlassablement, et qui engluait ma peau et mes vêtements de sa moiteur poisseuse. »
Dans une maison abandonnée, il rencontre un couple de paumés, frère et soeur à l’allure étrange, qui lui proposent de faire équipe avec eux pour de vagues larcins. Sammy retrouve un peu plus tard la maison de famille, décidé à honorer leurs propositions. Il fait alors la connaissance de la mère de Jason et Jamalee, une prostituée fatiguée.
Le quatuor réuni, tout mouvement devient impossible. Les gestes retombent et les bras se baissent, car La Fille aux cheveux rouge tomate s’attache avant tout à l’existence d’un groupe cultivant le fantasme de mauvais coups pour tenter d’améliorer le quotidien. Ce que Woodrell décrit avec une lucidité effrayante, c’est l’immobilité forcée de cette troupe spécialiste de l’échec. Ici, les corps ont perdu le désir de résister. Ils arpentent les taudis qui leur servent de maison, une bière à la main, en attendant la mort.
LA FILLE AUX CHEVEUX
ROUGE TOMATE
DANIEL WOODRELL
Traduit de l’américain
par Frank Reichert
Rivages/Noir
288 pages, 59 FF (8,99 o)
Domaine étranger Le sang des pauvres
août 2001 | Le Matricule des Anges n°35
| par
Benoît Broyart
Un livre
Le sang des pauvres
Par
Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°35
, août 2001.