Qu’y a-t-il de plus terrible qu’une guerre ? Sinon deux guerres imbriquées l’une dans l’autre. Naître et grandir au milieu d’ attentats, torrents de haine, vengeances aveugles et vivre en même temps tensions et échauffourées familiales destructure, conduit souvent à la folie. Colum McCann, né à Dublin en 1965 a-t-il vécu ces deux guerres ? Toujours est-il qu’elles ont du mal à se détacher de sa plume et apparaissent très présentes dans ces écrits (deux romans et deux recueils de nouvelles). Son premier roman, Le Chant du coyote (Marval, 1996 - 10/18, 1998), évoquait déjà la relation d’amour-haine entre un père et son fils, unis dans le souvenir de la mère qui a fui la dérive du couple ainsi que brumes et chaos irlandais.
Ailleurs, en ce pays renferme trois nouvelles ; deux aquarelles et une eau-forte dans lesquelles la figure hiératique, noire du père est à nouveau déclinée. Le père, en guerre, toujours amoindri : veuf, grabataire ou décédé. Si ces états renforcent le respect filial, les enfants finissent toujours entravés comme des chevaux par tant d’amour et tant de guerre. La première nouvelle éponyme met en scène un père et sa fille essayant de sauver une jument de la noyade. De jeunes soldats viennent à leur rescousse, au grand regret du père qui leur voue une haine séculaire. Dans Le Bois, à l’insu du père malade, la mère et son fils aîné fabriquent des hampes de drapeaux qui seront utilisées lors d’un défilé orangiste. Dans la troisième, un jeune adolescent attend loin de chez lui la mort de son oncle gréviste de la faim dans les prisons de Margaret Thatcher. Colum McCann démontre douloureusement que seule la trahison de ces pères aliénés par des conflits d’un autre âge permettra aux enfants de se construire eux-mêmes tout en étant à jamais déchirés. Cette déchirure les mènera vers l’exil, intérieur ou hors d’Irlande. C’est dans le traitement de cette dernière, esquissée ou gravée à la pointe sèche que réside toute la force, le pouvoir d’évocation de McCann. Désarrois, errements plus suggérés que décrits, mis en parallèle avec l’évocation de la nature, des éléments (inondation, tempête de neige) dans les deux premières nouvelles. Des taches, nuances, indices infimes ponctuant la narration laissent deviner l’ampleur et le sens des drames. « J’ai regardé les chênes derrière l’atelier. Ils devenaient fous dans le vent. Leurs troncs étaient gros, solides et forts, mais les branches se giflaient comme des gens en colère. » Dans la troisième, Une grève de la faim, la plus longue, la narration apparaît plus tramée, les désarrois explicités, plus physiques comme si les nouvelles précédentes avaient préparé le terrain à la douleur. Elle s’engouffre ici, avec une rare violence, en contraste saisissant avec l’image calme, sereine, redondante qu’offrent les évolutions presqu’impressionnistes d’un kayak jaune sur le port.
C’est dans l’écrit court, la nouvelle, que Colum McCann affirme au mieux la toute puissance de sa voix, de son souffle, qui, s’ils s’avèrent graves, sombres vibrent d’une finesse, d’une sensibilité remarquables. Un chant du monde subtil.
Ailleurs, en ce pays
Colum McCann
Traduit de l’anglais (Irlande) par Michelle Herpe-Voslinsky
Belfond
145 pages, 92,50 FF (14,10 €)
Signalons la réédition de La Rivière de l’exil (10/18, 41 FF, 6,25 €), un recueil de nouvelles sur l’éclatement aux quatre coins du monde d’émigrés irlandais.
Domaine étranger La guerre des pères
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Dominique Aussenac
En trois nouvelles, l’Irlandais Colum McCann dépeint des adolescences déchirées par l’héritage du malheur. L’exil devient chant du monde.
Un livre
La guerre des pères
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°36
, septembre 2001.