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L'Anachronique Permis de se conduire

décembre 2001 | Le Matricule des Anges n°37 | par Éric Holder

Je n’ai pas encore achevé d’écrire ce roman. J’avais pourtant prévu d’y mettre un terme plus tôt. Les premiers grands froids, les blocs de glaise qu’on ramène sous les chaussures après des promenades redevenues fiévreuses, viennent me le rappeler. Au cours grossi du ru du Val correspond le flux des mêmes pensées, des enthousiasmes subits, quoique modestes -ce n’est qu’un ru-, des retenues -Ah mais non ! Impossibe d’écrire cela !-. Qu’est-ce qui a changé, au fond, depuis un an ? Il y a de quoi sourire, en clignant des yeux dans l’éclat du soleil très pâle : j’ai passé mon permis moto.
Un rêve d’enfant. Cela valait, à vingt ans, de conduire, sans, une 450 four. À quarante et un, d’aller déterrer cet os-là. Je n’ose un calcul supplémentaire : j’ai dû, pendant des années, avant d’atteindre telle vitesse dans la descente de M., être dépassé par la fourmi, par l’escargot. Et le permis, nous ferions mieux de l’appeler brevet. Je prie ceux qui savent de me pardonner, dans le même temps que je n’ignore pas qu’ils compatiront. Quoique. Qu’ils imaginent devoir le repasser, code compris… Je croyais qu’il s’agissait d’une formalité.
La première chose qu’on apprend, c’est à rétrograder. Ce ne sont pas des cours privés, et pour remplir un minimum d’heures de leçons, là-haut, sur le plateau où l’on installe des cônes et des portiques, vous vous rendez rapidement compte que, quel que soit l’âge ou le sexe des autres impétrants, vous êtes une sorte de canard malhabile. Ce serait normal : vous êtes le dernier arrivé. Or, c’est tout sauf normal. Vous avez quarante et un ans, je le répète, un peu de pratique et l’on ne devrait plus vous en raconter. Mon pauvre ami.
La monitrice se prénommait Marie-Christine. Son mari, qu’elle appelait, lorsqu’elle parlait de lui, « mon chéri », était ouvrier électricien. Ils venaient d’avoir leur premier enfant et d’acheter leur première maison, à l’entour de Coulommiers, là où on ne sait qui l’emporte, des champs ou des lots à bâtir. J’aimais bien sa gouaille dans l’oreillette, sous le casque, la qualité un peu rauque de la voix qui semblait veiller sur tous -la béquille, le clignotant oubliés, eh, achète-toi donc un vélo (prononcer « donc » comme une ponctuation, « blong »)- jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’elle ne s’adressait qu’à moi. Pas question de répondre : vous n’avez pas de micro. Bouffez-vous blong les lèvres.
C’est vous qui avez voulu ça, n’est-ce pas ? Mais à mesure que ça s’affinait naissait un sentiment mélangé, revenu lui aussi, pour une part, de l’adolescence, de l’autre, éclairé par la distance qu’on met plus tard entre l’homme et soi. Où est soi ? On l’aperçoit qui contemple, non loin de là, le spectacle des ratages, des reprises, des efforts dérisoires ou méritants de l’homme. Il songe qu’il se croyait habitué au doute. À présent, il doute même de douter. Ça fait beaucoup. Ce n’est pas si mal.
Des jours ont passé, puis quelques mois. Le temps où l’on imaginait s’en tirer avec deux ou trois leçons est renvoyé aux limbes. Si la fréquence des appels de Marie-Christine a diminué, il n’en reste pas moins que vous continuez de vous insurger, avec une certaine enfance, contre eux. Vous n’auriez pas assez bien négocié ce virage ? Et les autres motards, alors, qui se sont retrouvés à sa sortie comme du petit plomb dans la nature ?
Non, c’est de vous qu’il s’agit. Je n’ai jamais interrogé la monitrice là-dessus. Je pensais qu’elle n’aurait pas les mots. Maintenant je le déplore. Ce n’était pas affaire que de freiner ici et d’accélérer ailleurs. Et selon ce que vous portez en vous, conduire s’avérera infiniment perfectible.
J’ai obtenu le brevet. Passons. J’ai, depuis, nichée à demeure, quelque part dans le cuir, une Marie-Christine miniature ; elle peut surgir à tout moment. À vrai dire, je l’espère. Il me semble que sans elle, j’aurais raté des priorités. Certes, je n’ignorais pas qu’« on n’écrit jamais que ce qu’on est capable d’écrire : voilà un genre de justice » (Georges Perros). En définitive, c’était rassurant. En définitive : voilà où cela achoppait.
C’est peu de dire que j’aimais Pirotte. Aujourd’hui, je l’entends. Lui aussi parle d’écrire : « Eh oui, c’est un métier. Un artisanat de plus en plus anarchique, et que je ne cesse de pratiquer en bricoleur. Mieux, ou moins qu’un métier, donc : un apprentissage, mais de quoi ? » (in « D’un petit carnet, encore »).
J’ai dorénavant le droit, comme beaucoup de monde, de grimper sur une bécane. Je ne suis persuadé que de ceci : la conduire reste à prouver. Chaque jour.

Permis de se conduire Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°37 , décembre 2001.