Alors qu’il nous avait habitué à des nouvelles et des romans de taille raisonnable, pour ne pas dire standard, Vincent Ravalec a pris la mouche et livré un gros bouquin rose de sept cents pages. Intrigué, on se demande évidemment où il veut en venir en lançant son pavé dans la mare de la rentrée littéraire. Plus troublant encore, son roman est si mal peigné qu’en naît un soupçon : L’Effacement progressif des consignes de sécurité -clin d’oeil ostentatoire à l’Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq-, serait-il conçu afin d’inaugurer une série balzacienne en vingt-trois volumes à tendance rocambolesque ou pour se payer la tête du monde, et des milieux littéraires en particulier ? De Houellebecq lui-même ? Les deux auteurs partagent le même éditeur en la personne de Raphaël Sorin, réputé pour sa roublardise et son cynisme, qui ne serait pas déçu par une nouvelle polémique oiseuse. Tout fait ventre pour attirer l’attention des candides. Et si Ravalec se prenait vraiment pour Balzac ?
Malgré le travail indubitable que représente un tel livre et son scénario à rebondissements qui conduit Louis Dieutre le passeur de faux passeport et patron de start-up chez ces dingues d’Archignacquais, la désinvolture avec laquelle Ravalec enfile les paragraphes en promenant ses personnages à travers les milieux de l’art contemporain ou de l’informatique, malgré la variété et la surprise, l’ensemble dénonce l’exercice amusé d’un auteur qui se laisse aller. Ravalec a une plume en forme de godillot, on le savait. À sa décharge, on sent bien qu’il s’est immergé dans un récit loufoque et généreusement narratif. Inutile de chercher midi à quatorze heures, son livre répond à un programme ludique. C’est plaisir d’écrire, joie de recevoir… Il y a chez Ravalec un enthousiasme juvénile, une ardeur imaginative et une jubilation qui surprennent ou glacent si l’on est du genre à exiger de l’écrivain qu’il soigne sa patte. On dispose ici, simplement, d’un livre mal écrit et d’une longue histoire nourrie de l’actualité la plus immédiate et de malices variées. En d’autres temps, Ravalec serait passé pour le ravi de service. Aujourd’hui, il faut du courage pour affronter les tenants du post-structuralisme, du « roman-monde », des épanchements intimes à la sauce blanche, des témoignages néo-réalistes ou de la crypto-écriture post-oulipienne. Nombreuses sont les castes qui prônent l’intelligence à tout prix et le message. Paraître intelligent, Ravalec n’essaye même pas. C’est tout à son honneur.
En ouvrant L’Effacement progressif des consignes de sécurité, il faut savoir rester simple et ne pas bouder son plaisir même s’il est estompé par des pages mal fagotées. Il faut suivre Ravalec sur la trace des romanciers populaires du XIXe siècle, se laisser porter comme on peut suivre Rocambole malgré les bourdes et les bévues du vicomte Ponson du Terrail.
Pour le reste, considérations littéraires mises à part, on devine sans être grand clerc que Flammarion cherche à conquérir un lectorat de « jeunes » un peu branchés et soigne ainsi une image post-pubère. Certains courtisent les homosexuels, d’autres encore les femmes trentenaires, etc. C’est la culture du ghetto, la logique du marketing. Si l’on accepte de s’en tenir aux vertus d’imagination d’un écrivain malhabile, fantasque et généreux, le roman de Vincent Ravalec vaut largement la collection complète du Poulpe.
L’Effacement progressif
des consignes de sécurité
VincenT Ravalec
Flammarion
686 pages, 21,19 € (139 FF)
Domaine français Ravalec le ravi
décembre 2001 | Le Matricule des Anges n°37
| par
Éric Dussert
Avec un énorme roman, l’écrivain entame une saga dont le premier épisode imaginatif et débridé mérite qu’on s’y plonge malgré son écriture bancale.
Un livre
Ravalec le ravi
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°37
, décembre 2001.