Sociologue et philosophe de formation (on lui doit entre autres La Démocratie virtuelle, 1994) Léo Scheer, 55 ans, a plusieurs vies, mais un seul itinéraire : plutôt gâté. Il débute au ministère de l’Équipement. Les barricades de Mai 68 à peine tombées, les grands corps de l’État planchent sur la Nouvelle société. Chargé de financer la recherche en sciences humaines, le jeune fonctionnaire fréquente pendant dix ans le milieu intellectuel et le milieu de l’édition en soutenant les penseurs en « déshérence » : les Foucault, Deleuze ou Lyotard. Imprégné par cette effervescence, il en gardera de précieux contacts.
La deuxième vie de Léo Scheer se poursuit dans le monde de l’entreprise, sous l’ère naissante des nouvelles communications. À la théorie succède la pratique. Directeur de développement chez Havas (1980-1985), il « s’amuse à racheter Larousse et Nathan », invente le concept Canal Plus -« une idée fabuleuse et aberrante »- devient « architecte-monteur de pyramides ». L’ex-jeune fonctionnaire exercera ensuite ses qualités de stratège chez Publicis avec le lancement de la chaîne musicale TV6 (l’amorce de M6). Sa troisième vie est de meilleur repos : devenu expert en nouveaux médias, il prodigue des conseils.
Sa quatrième vie s’est ouverte en janvier 2000 avec la création d’une maison d’édition. Fondée avec les écrivains Michel Surya et Jean-Paul Curnier -« le bureau politique »- elle ne manque ni d’ambition, ni de radicalité. Axée sur une stratégie offensive, leur politique éditoriale place l’acte de penser (du récit à la photographie en passant par l’essai et le livre d’art) au cœur d’enjeux où se mêlent le langage, l’image et l’histoire des idées. Éditeur également de trois revues engagées (Lignes, Cinéma et L’Image, le monde) Léo Scheer construit son emprise. Marque son territoire. Veut être « au centre de la bagarre ». Contre les idéologies dominantes. Et ce début d’automne s’annonce riche. La première rentrée littéraire des ÉditionsLéo Scheer (Chloé Delaume fait office « de première lectrice ») compte sept livres dont le démoniaque, drolatique et épuisant premier roman de Louis Skorecki -imaginez L’Homme qui aimait les femmes revisité par le serial killer Patrice Alègre- ainsi que les voix suspendues de Jacques Brou et d’Éric Vuillard. S’y ajoute un projet novateur : la constitution d’une société de diffusion, impulsée autour d’une fédération d’éditeurs associés.
Rencontre avec un fin bâtisseur, bien heureux dans son nouvel habit, et tout surpris de se « découvrir une nouvelle passion » : la littérature.
Comment passe-t-on d’expert en nouvelles technologies de l’information à éditeur ?
Je me suis promené pendant plus de vingt ans dans les industries de la vie culturelle, comme le cinéma et la musique, et c’était fatal que je termine dans le livre. L’édition est de loin le métier le plus intéressant, surtout aujourd’hui parce que le livre est l’enjeu principal de la société dans laquelle on vit. Tout le...
Éditeur Contre le prêt-à-penser
Espace de création et de critique, les jeunes Éditions Léo Scheer mêlent l’écrit et l’image dans un catalogue ouvert à tous les arts. Un lieu de résistance prêt également à s’investir dans la diffusion des œuvres.