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Domaine français Le jardin d’Épicure

septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40 | par Thierry Cecille

Antidote précieux et volontairement anachronique contre les délires contemporains, les chroniques de D. Grozdanovitch illustrent "la fabuleuse et légère ébriété du présent".

Petit traité de désinvolture

Soyons prudents, avançons avec précaution : Denis Grozdanovitch lui-même sourira sans doute de ce que nous pouvons écrire à son propos, il se fera fort, dans un prochain ouvrage, d’épingler la prétention du critique qui se croit perspicace et, avec une supériorité indue, n’hésite pas à procéder, à la petite semaine, au Jugement Dernier -esthétique et expéditif. L’auteur se présente comme un ancien champion de tennis : le titre, ainsi que la légère plume bleue de la couverture de ce bel ouvrage, ouvrent donc la partie sur un service élégant -donnent le ton. Les jeux qui suivront feront alterner des portraits et rencontres -les « tueurs de temps », vieux habitués de la cinémathèque ou joueurs d’échecs, un « futur champion » dont la technique se perfectionne à mesure que son appartenance à la vie sociale se défait, le « Satyre du cimetière » anglais de Corfou, dont il fuira les avances faunesques et burlesques- avec des récits de voyages et, pourrait-on dire, de paysages -la Grèce, Sils-Maria, l’Aveyron ou la Normandie- et des impressions littéraires.
Denis Grozdanovitch semble relever, avec fair-play, le défi du Gracq des Lettrines (comme Gracq, mais de manière plus appuyée encore, il a le tic des italiques qui attirent notre attention comme des coups de clairon répétés et intempestifs -pourquoi ne pas faire confiance à l’oreille du lecteur ?) et de la tradition des moralistes français, jusqu’à Cioran et Perros. Ce n’est pas sans risque : la recherche du terme juste n’évite pas toujours l’inutile préciosité ou le flou artistique (« le style éblouissant », « camper un paysage »), la volonté de rendre hommage à tel ou tel ne confère pas pour autant un intérêt réel à quelques essais un peu fades sur Proust, Nietzsche ou Léautaud, l’épicurisme prend parfois les allures d’un esthétisme légèrement condescendant, à la Dominique Fernandez.
Il faut pourtant passer outre : de nombreuses pages sont à la fois pleines d’intelligence, de saveur ou d’émotion, révèlent une attention bienveillante ou amusée, toujours patiente, aux êtres et aux choses. Au fond d’un mouroir, une grand-mère presque centenaire, rusant entre raison et folie, ventriloque avec une marionnette rabelaisienne, qui invective soignants et visiteurs et qui, à l’instant de la mort, semble trôner, énigmatique et tutélaire, « ses jambes de flanelle pendant dans le vide ». Au coin d’une rue d’un Paris pluvieux, un ivrogne est en extase devant la bouteille qu’il vient d’acheter et « le sourire de l’inconnu fleurissait maintenant sur mes propres lèvres », avoue l’auteur, partageant ici, peut-être, cette sorte d’empathie mystérieuse, propre à « l’homme des foules » de Baudelaire, promeneur au regard vacant, se laissant happer par l’humanité d’autrui. À propos de Vladimir Prokosch ou d’Isaac Babel par exemple, il cerne également cette confraternité des écrivains et des lecteurs, « petite confrérie d’âmes sensibles » qui dialoguent à travers le temps et l’espace -l’échappée libre que nous octroie la littérature.
Sa désinvolture, enfin, est sans doute la voie qu’il emprunte pour tenter de mettre à jour et parvenir à illustrer ce qu’il nomme joliment « la fabuleuse et légère ébriété du présent ». C’est ainsi qu’il dépeint -pour établir, avec Stevenson, Une apologie des oisifs- la langueur d’un chat dormant au soleil, leçon de bonheur calme, et les mœurs méditatives du paresseux, ou qu’il s’émerveille en découvrant le sourire discret des korês archaïques du Parthénon. À l’issue de cette lecture, comme il en fait lui-même l’expérience avec ses auteurs favoris, « ne sommes-nous pas gagnés d’un enchantement comparable à celui qui nous vient lorsqu’après avoir manié et contemplé des collections de papillons dans leurs boîtes vitrées, nous découvrons soudain la fine poudre multicolore déposée sur nos doigts ? »

Petit traité de désinvolture
Denis Grozdanovitch
José Corti
266 pages 15,50

Le jardin d’Épicure Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°40 , septembre 2002.