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Poésie La terre infernale

septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40 | par Giovanni Angelini

Figure majeure de la poésie italienne, Giorgio Caproni explore avec une grave ironie les profondeurs de l’âme en traquant sans relâche l’absurde et l’absence.

C’est violoniste que Giorgio Caproni (1912-1990) aurait voulu être : la vie en a décidé autrement et par défaut il s’est fait poète. Mais si la poésie est, aussi, de la philosophie mise en musique, il faut reconnaître qu’il a atteint son but.
Parfois grâce, parfois amertume, tendresses de desperado céliniennes (il a traduit Mort à crédit), convalescences éphémères, éclairs… le havresac d’ancien résistant de Caproni est ample et généreux : il est presque miraculeux que l’un des plus grands poètes italiens du XXe siècle (également prosateur et critique littéraire1) ait su garder son lien profond avec la pudeur, la dignité, la langue du peuple, arrimé à elle. Cela dès ses débuts, en 1936, sous le signe d’une poésie riche de sonorités nouvelles, jusqu’à son dernier livre posthume paru en 1991, lorsque sa poésie avait définitivement pris ses quartiers d’hiver dans les aphorismes, dans les formules foudroyantes, à brûle-pourpoint.
Entre ces deux dates la langue et la pensée de Caproni ont évolué dans sa recherche « d’artisan modeste » comme il se définissait, qui sans cesse creusait dans « las secretas gallerias del alma » disait- il, rappelant Antonio Machado.
Avec Le Mur de la terre, paru en 1975, le poète continue son voyage dans ces profondeurs peuplées d’absents et d’absence. Les 69 poèmes de ce recueil sont articulés en 13 sections qui souvent évoquent la musique : scansion paradoxale, ironie féroce et désespérée pour un bruit lointain et irrégulier de ressac qui à la place de laisser les mots arrondis, polis par le temps, laisserait des silex tranchants. Le temps pour Caproni n’a pas une fonction apaisante, maternelle, mais bien au contraire de cuir tanné pour aiguiser le rasoir.
Mais plus que de temps il faudrait parler ici d’intemporalité car « en deçà » du mur de la terre, référence dantesque au mur de Dité la cité infernale, tout est absurde, émietté, indicible. Il est nécessaire de tout réapprendre. Ainsi, par exemple, dans le poème pour son fils, il y a renversement total : « Mène-moi avec toi, loin… loin… dans ton futur/ Deviens mon père, mène-moi,/ main dans la main… » comme si le poète souhaitait redevenir enfant au sens étymologique de « infans » : celui qui ne parle pas et pour qui tout est encore à nommer. Car pour donner forme à l’absence de sens du monde extérieur, il faut réapprendre une nouvelle langue.
On a souvent évoqué au sujet de Caproni l’effet spéculaire du « moi-lui », ce double que le poète croise : « Je savais que je ne le trouverais pas/ chez lui, ce jour là./ C’est pourquoi, j’avais choisi ce jour là/ pour lui rendre visite… Je n’ai rien d’autre à dire./ Il n’avait pas été prudent,/ ce jour là/ S’il avait été/ chez lui il ne m’aurait pas ouvert… Ne m’aurait-il (ne l’aurais-je) pas poignardé ». Faudrait-il peut-être évoquer ici la physique pour essayer de cerner la pensée de Caproni en parlant d’antimatière : un monde en négatif qui nous envoie des signes à décrypter, un absurde absolu dans lequel le poète se serait aventuré, un non-monde où faire son deuil avec des mots étrangers, des invectives rocailleuses, paradoxes en cul de sac logiques, où avec un rythme plus ample, dont les silences, les césures inattendues de la ponctuation seraient denses de sens. Ainsi Caproni, arrivé à l’idée d’une égalité absolue entre l’absurde et la réalité, constate la défection, l’absence de Dieu. Dans le labyrinthe où le poète est précipité cette absence devient comme une pièce à conviction : encendré par cette disparition le poète le foudroie virilement à son tour : « Dieu de volonté/ Dieu omnipotent, cherche/ (efforce-toi !) à force d’insister/ au moins-à exister ». Se rendre, se battre, partir, errer dans des lieux qui ne sont que des sésames pour le néant…cela revient finalement au même.
L’écriture heurtée, minérale de Caproni, son rythme, son phrasé rigoureux nous renvoient à l’impossible de l’exergue de ce recueil : « Nous sommes dans un désert, et vous voulez de nous des lettres ? » Question d’une inquiétante actualité.

1 La Scatola nera, remarquable recueil regoupant la majorité de ses articles sur la poésie italienne, reste à traduire.

Le Mur de la terre
Giorgio Caproni
Traduit de l’italien
par Philippe Di Meo
Atelier de la Feugraie
204 pages, 20

La terre infernale Par Giovanni Angelini
Le Matricule des Anges n°40 , septembre 2002.
LMDA PDF n°40
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