« Il porte une cravate rouge, pour souligner son appartenance à la mouvance socialiste, même si toute sa vie il a œuvré à servir le capital. » Semblable contradiction se paye parfois de la perte d’un siège, Ham, c’est-à-dire « lui » en danois, a pour sa part perdu toute assise. Ludion éthylique à la dérive dans les rues de Copenhague, son existence se vide et se dévide en courts métrages bouffons, œuvres de quelque chef monteur frappé de démence. Ane Schmidt fait s’entrechoquer jusqu’aux limites du supportable des images où le dénudement physique accentue encore le dénuement métaphysique : « Dans la nuit, sa queue pour tout repère, il naviguait à travers ses cauchemars. Dehors c’était la tempête, et il y avait des filles dans tous les coins, excepté sur son gland. Un oiseau volait sans pilote. Les arbres étaient secoués dans son rectum, et il rêvait, rêvait sans cesse de traverser un miroir dans lequel l’autre resterait piégé. »
Mieux vaut avoir le cœur bien accroché avant d’entreprendre ce voyage au bout des ténèbres intimes de son prochain -mais on goûte un rare plaisir littéraire chemin faisant. Dans ce monde où les références sont moins à chercher du côté du yin et du yang que du Zorn (Fritz) et du Zürn (Unica), les chefs d’entreprise quémandent un biscuit pour chien à leur secrétaire, le purgatoire social sert d’antichambre aux enfers glacés du sexe et de l’inceste. Ces derniers thèmes, dans toute leur crudité, en viennent à servir de bastingage où s’accroche le lecteur salement secoué par un mal de mer existentiel. La valse triste des bites et des cons, le pauvre menuet des muqueuses en prendraient des accents presque guillerets au regard de certaine danse macabre : « Il traîne derrière lui une barque étrange à travers la fange. Il est une corde distordue, un fil issu du ciel. Et derrière lui vogue ce navire sur l’eau dans les rues. Il n’ose se retourner. Une grande barque, à cinquante centimètres à peine derrière lui, pleine d’enfants, de mourants, et piquée de paille vietnamienne. Il a traîné cette barque derrière lui si longtemps qu’il ne se souvient plus de ce qu’il a oublié. » On l’aura compris, ce pur diamant danois, extrait d’une veine où coule un sang très noir, évoque davantage Kierkegaard que Jørn Riel.
Pour amateurs de sensations moins fortes, le même éditeur fait simultanément paraître deux classiques de la littérature leste. Tout d’abord les Contes érotiques russes, fameuse compilation de récits traditionnels du folkloriste Alexandre Nicolaievitch Afanassiev (1826-1871) que l’on rangera au choix à côté des grivoiseries de notre La Fontaine ou au rayon pratique puisqu’on y apprend comment arriver à ses fins dans toutes les situations, notamment avec la femme d’un pope. Et le délicieux Roman de Violette, l’une des premières œuvres érotiques nées sous la plume d’une femme (1883), un livre vraiment au poil : « Cet ornement bizarre montait jusqu’à la gorge, où il se glissait comme un fer de lance entre les deux tétons. Puis, il en descendait en s’amincissant pour rejoindre la masse qui couvrait tout le bas du ventre, s’enfonçait entre les cuisses et reparaissait un instant au bas du dos. (…) Ce qu’il y avait de remarquable, c’est que, partout ailleurs, la peau brune, mais d’un ton magnifique, était pure de toute végétation capillaire. »
Ham
Ane Schmidt
Traduit du danois par Michel Maire
Contes érotiques russes
A. N. Afanassiev
Traduit du russe par Arthur Rubinstein
Le Roman de Violette
Marquise Mannoury d’Ectot
Le Serpent à plumes
Respectivement 133, 306 et 165 pages,
6 ; 7,5 et 6 €
Poches La rose et le noir
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Eric Naulleau
À travers les temps et l’espace, source d’inspiration du beau sexe aussi bien que du sexe fort, toutes les couleurs de l’érotisme en trois parutions, dont un pur diamant danois.
Des livres
La rose et le noir
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°40
, septembre 2002.