On pourrait appeler les récits poétiques de Valérie-Catherine Richez « Hymnes à la nuit » tant celle-ci est la matière de chacun d’eux. Mais l’hymne suppose une parole ascendante, ou transcendante, révélée par la nuit et s’immortalisant en elle. Si ce lien existe dans ces textes, la notion de chant se substitue à un combat si âpre et chaotique que la musique semble dépassée par la violence des tableaux décrits. Il s’agit de visions nocturnes, où l’on chuchote, s’effraie, s’enivre de monstres multiples, de passages, d’apparitions. Difficile de décrire davantage ce qui se trame dans ces Corps secrets, si ce n’est confier une stupeur à voir la poétesse enfanter un tel univers de démence et de voyance. Corps secrets fait partie de ces rares livres qui se passent de toute intelligibilité d’approche pour ne plus mettre en scène qu’une parole puissante sous les yeux du lecteur dans un spectacle jamais gratuit, proche ici du théâtre de marionnettes. Ainsi, en ces nuits, on s’écorche, s’émerveille, rit et meurt en une fraction de seconde, sans comprendre, mais sans rien sacrifier non plus à une lisibilité qui tient du don : « Tout s’était défait. Tête, poitrine, membres… ils avaient fui. Mon corps avait fondu comme du sucre dans l’eau. L’eau d’une très ancienne mémoire./ Le liquide tiède frissonnait. Des vaguelettes de pensées palpitaient, s’enchaînaient doucement, disparaissaient à peine esquissées. L’idée de les suivre n’avait plus aucun sens. -Quelle idée ? Ni plaisir ni peine. »
À un rythme vif, souvent vertigineux, Valérie-Catherine Richez déploie un univers inquiétant, évitant dans ce mouvement à la fois vaste et intime tous les écueils qu’une poésie dite hallucinée peut rencontrer. Fidèle à l’expression de ses propres souffrances, mais sachant leur offrir des images comme on sait accueillir en couleurs une sensation, elle parvient à nous faire entrer dans une dimension régie par la nuit où chaque rencontre a l’éclat du soleil. La narration de ces visions ne s’égare jamais dans la confidence ou la contemplation. Un vertige a lieu, qui sait trouver en chaque phrase sa forme et son élan. Valérie-Catherine Richez impose une voix dont on ne peut oublier l’abîme d’où elle parvient. C’est cette voix de « vieille enfant chamane » qui nous hypnotise dans une langue qui en une suite d’expressions heureuses nous envahit. Chacune de ces nuits où vivent ces Corps secrets porte un nom d’entrée différent : Nuit d’égarement, Nuit des arrivées, Nuit des attentes, Nuit du Refuge. Vingt-huit nuits comme autant de traversées d’un vertige : « J’étais dehors. -Non, je n’étais ni dehors ni dedans. Je percevais une forme sans forme./ Une haute distance-présence.// J’étais encore rejetée de moi brusquement sans comprendre./ Une fois le cordon coupé, les choses étaient éparpillées. Elles gisaient solitaires à des années-lumière, abandonnées par la marée. »
Parmi ces saccages, ces amas d’incompréhension, une langue réinvente sa solitude, unit par les mots les états et les violences qui la séparent. Après le recueil Des yeux de nuit (Arfuyen), non seulement Valérie-Catherine Richez libère dans une tenue des contraires pertinente les soubresauts d’une langue, mais de plus parvient à raconter cette terreur avec une justesse qui envoûte.
Corps secrets
Valérie-Catherine Richez
L’Atelier des brisants
90 pages, 16 €
Poésie Nuits nouvelles
novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41
| par
Marc Blanchet
En un livre nocturne, la peintre et poétesse Valérie-Catherine Richez dessine des paysages inédits où un corps raconte ses assauts avec l’éclat du feu.
Un livre
Nuits nouvelles
Par
Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°41
, novembre 2002.