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Histoire littéraire Le voyage d’une vie

novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41 | par Didier Garcia

Œuvre documentaire et récit autobiographique, Pérégrination présente l’incroyable odyssée (qui ne compte pas ses morts) d’un Portugais dans l’Orient du XVIe siècle. Entre légende et vérité.

Nous sommes en 1537. Alors que les monarchies européennes tournent définitivement le dos aux valeurs médiévales, que la Renaissance italienne éblouit les cours des pays voisins et que des dissensions religieuses menacent une partie de l’Europe (Réforme, Contre-Réforme, schisme de l’Église anglicane, début de la répression contre les Protestants…), un jeune Portugais, Fernão Mendes Pinto, sans fortune personnelle, entreprend un voyage en Orient, sous la protection de son dieu miséricordieux (qui ne l’abandonnera d’ailleurs jamais). De retour au Portugal vingt et un ans plus tard, il emploie le reste de sa vie à réunir ses notes de voyage dans un copieux récit qu’il entend léguer à ses enfants, bien qu’il le tienne pour « rude et grossier ».
Fernão Mendes Pinto est né en 1510 ; il mourra en 1583, n’abandonnant à l’histoire littéraire qu’un livre unique, une somme dans laquelle il rend le détail d’une expédition qui aura occupé presque un tiers de sa vie. Publié pour la première fois en 1614 dans sa langue vernaculaire, il ne sera traduit en français qu’en 1628, par les soins de Bernard Figuier, qui se permit de nombreuses licences et force approximations. Cette nouvelle traduction entend donc rétablir la vérité du texte original, en restant aussi littérale que possible.
Avec ses 226 chapitres (division qui n’est pas le fait de l’auteur et qui pourrait avoir été inspirée par les 236 chapitres du Livre des Merveilles de Marco Polo), Pérégrination relate donc cette incroyable odyssée, durant laquelle l’inépuisable bourlingueur connut treize fois la captivité et fut seize fois vendu. Naviguant jusqu’aux limites du monde alors connu, il débarqua en Éthiopie, explora Sumatra, le Cambodge, la Malaisie, la Birmanie, séjourna en Chine, en Inde, et jusqu’au Japon…
L’essentiel de ce récit repose sur l’évocation des batailles navales que cet aventurier dut livrer aux flottes étrangères (ainsi qu’aux corsaires qui sillonnaient alors les mers), sur les naufrages et les tempêtes qu’il eut à subir (échappant miraculeusement à la mort une bonne dizaine de fois), sur les châtiments, les avanies et les sévices qu’il lui fallut endurer (car en ces temps reculés, la torture et la barbarie constituaient les moyens les plus efficaces pour que les langues se montrassent éloquentes). Ces épisodes, qui dessinent l’ossature intime du voyage, alternent avec des descriptions rigoureuses, précises à en devenir fastidieuses, et dont géographes, historiens, peut-être même ethnologues, ont trouvé à se nourrir : animaux rencontrés en chemin (présentés avec une nette propension à l’emphase hyperbolique), cérémonies sacrificielles, rituelles et funéraires, délibérations de justice, protocoles des réceptions royales, villes ayant accueilli ses escales, comme Pékin, dans laquelle il séjourne pour un procès de plus de six mois, et à laquelle il consacre sept chapitres, s’excusant de devoir se limiter à ce qui lui paraît le plus notable pour se « garder d’être prolixe ». L’auteur avoue d’ailleurs établir ces petits tableaux pour que la nation portugaise sache où elle s’engagerait si elle s’avisait de conquérir ces terres et d’évangéliser leurs populations. Et peut-être la modestie lui interdisait-elle d’affirmer qu’il constituait un savoir encyclopédique sur ces contrées du bout du monde.
Il est probable que le lecteur s’impatiente de quelques longueurs, notamment dans les énumérations interminables qui dressent l’inventaire des butins, qui passent en revue la composition des armées, ou qui détaillent les activités commerciales d’une région, qu’il soit heurté par des jugements expéditifs (« gens cruels et faibles comme le sont les Chinois »), et qu’il s’amuse de ce que l’auteur use et abuse du même expédient lorsque ce qu’il voit échappe à l’entendement : « les mots me manquent en vérité pour rapporter ce que Dieu notre seigneur nous donne à ressentir »
Il est également à craindre qu’un tel voyage, à l’heure de la communication électronique et des déplacements supersoniques, prête à sourire par son inactualité. Mais le récit ne faiblit qu’en de rares endroits, sans jamais réellement s’essouffler, progressant toujours avec la même alacrité, et la division en chapitres contribue à rompre le déroulement du récit, suspendant la narration au moment où les flottes se préparent à donner leur assaut, où la justice se retire pour délibérer avant de rendre son verdict, où la tempête fait rage et promet à l’équipage un naufrage imminent, ménageant ainsi un certain suspense, même si l’on sait que la foi chrétienne triomphera contre l’adversité, ou permettra de se sortir des situations les plus désespérées. Et dans cette odyssée qui ne compte pas ses morts, quelques images, empreintes d’une touchante naïveté, se montrent parfois saisissantes : après la chute d’un mât, le narrateur découvre cinq Portugais écrasés, « chacun crevant en mille endroits, spectacle infiniment déplorable » qui le laisse, avoue-t-il, « interdit »
Pérégrination pourrait être ce qu’Umberto Eco nomme une « œuvre ouverte », c’est-à-dire un livre polysémique qui se prête à une pluralité de lectures. On peut bien sûr tenir ce récit pour ce qu’il est : un journal de bord, ou la chronique d’un voyage. Mais il témoigne aussi du rayonnement de l’empire portugais, de l’Europe et de l’Orient du XVIe siècle, des rivalités entre chrétiens et musulmans, les uns obéissant à la « religion évangélique, qui est la seule véritable », les autres appartenant à la « secte mahométane », voire à la « maudite secte de Mahomet » -dans ce discours de prosélyte, l’auteur se fait l’apologue de la chrétienté, avec une évidente mauvaise foi : où qu’il se trouve, ses interlocuteurs tombent en admiration devant la pertinence ou le bien-fondé des dogmes religieux qu’il respecte.
Quel que puisse être l’enjeu de ce texte, Pérégrination emporte, enchante, étourdit, multipliant les surprises et les péripéties rocambolesques, faisant de ce voyage un étonnement continu, précipitant le lecteur dans un univers qui tiendrait à la fois d’Homère pour sa naïveté et de Jules Verne pour son fantastique. Au finale : mille pages d’un authentique récit d’aventures.

Pérégrination
Fernão Mendes Pinto
Traduit du portugais par Robert Viale
La Différence
992 pages, 20

Le voyage d’une vie Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°41 , novembre 2002.