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L'Anachronique Voisins, voisines

mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43 | par Éric Holder

Je nomme : Philippe, Pépin, Lionel, François, Lambert et moi-même. Je nous compte : six. C’est volontairement que je n’inclus pas Maurice et Richard -le père et le fils, cultivateurs tous deux-, ainsi que Thierry, qui vit en autarcie. Nous vivons tous en autarcie -congélateurs, potagers, celliers où sont les conserves- au sein d’une plus grande : le hameau (il doit subsister quelque part le plan de minage des ponts qui y accèdent, en cas de coup dur). Cependant, avec la complexion timide qui est la sienne, Thierry aura peut-être imperceptiblement glissé du côté du monde qui entoure nos maisons, peuplé de pionniers -lesquels sont par nature farouches.
On peut nous appeler le Groupe des six, je préférerais, « la bande du figuier », parce que commencent d’apparaître, dans nos jardins, depuis que nous sommes tous là, des figuiers. Ils trouvent un endroit contre un mur, une resserre au Sud, résistent aux gelées de façon inhabituelle, produisent des gros fruits violets et sucrés dans le même temps que se répand, les soirs d’été, l’odeur des ruines syriennes.
Outre que nos âges nous rapprochent (nous tournons autour de la quarantaine), nous pouvons évoquer entre nous des noms, des titres, des films, des musiques sans craindre de provoquer, ainsi qu’il est fréquent avec les pionniers, des phénomènes d’incompréhension ou de rejet. Nous avons quelques monuments et quelques adresses à Paris. Il nous arrive de « laisser allumé » dehors toute la nuit. Nos chiens se reproduisent. Nous adoptons de jeunes chats.
J’aimerais bien qu’on prenne une photo de nous, un jour, une photo de groupe. C’était arrivé lors d’une réunion, dans ma famille, quelqu’un avait eu l’idée de déplacer un banc et de faire poser ensemble les quatre « pièces rapportées », les conjoint(e)s. Une complicité avait soudain embrasé ceux-ci comme le feu. Des photos en gardent trace. Jamais vu de telles photos.
Bras-dessus, bras-dessous, où nous tenant tous dans la même position d’escrime implorante qu’ont des chanteurs américains ? Il faudrait que ce soit à la fin juin, dans la « cour aux figuiers », avec la marmaille et nos femmes pas loin -car nous avons encore nos femmes, à l’exception de François, qui a perdu les deux siennes.
Côte à côte, Pépin et son sourire de sage créole ; Philippe, un mètre quatre-vingt-douze, cent treize kilos, se tenant droit, Philippe des Pallières, ceux qui le connaissent comprendront ; François, dessinateur, illustrateur, prendra son air de toon ; Lionel, la tête rentrée dans les épaules, avec son regard droit et clair, celui du petit dernier qu’il est en réalité (il vient d’arriver) ; on dirait toujours que Lambert -est-ce de se battre continuellement avec ses ronciers ?- a attrapé un grave coup de soleil dans la journée.
Probable qu’on nous verrait rire, comme les autres, sur la photo. Ainsi, nous n’étions pas seuls, les soirs d’hiver, quand nous sortions refaire la provision de bois, col de chemise relevé dans le froid et la pluie en oblique ? Les matins où se lever est un fardeau, on tire le rideau, c’est anthracite dehors, seulement il faut croûter, et les enfants vont à l’école. Parfois, entre décembre et février, si l’on passe devant nos maisons, à la nuit tombante, on entend un coup de gueule. Pépin, Lionel ou moi. La plainte des hommes qui se réveillent encombrés, les bras chargés, s’élève au-dessus des tuiles. Les atlantes souffrent de porter, croient-ils, le globe sur leurs épaules. Ce n’est que leur tête. Silence des femmes, pourtant plus rudement mises à contribution, sollicitées davantage. Des lumières jaillissent sous les combles où la progéniture s’est réfugiée.
Nous connaissons la paupérisation par accès. Cela se signale dès l’abord par des outils laissés à traîner, des brouettes qu’on n’a pas remisées, des poubelles pas remontées. On lâche le cours des jours, deux, trois, quatre, sans se raser. Des bouteilles vides s’accumulent dans des cartons, sous les bûchers, en attente d’être portées au container à verre. On voit passer par la fenêtre le grand Philippe, inquiet comme s’il avait perdu des chiots.
La civilisation nous sauve de là. On a été en ville, ou bien on a fait un voyage. On revient en éprouvant ses marques, en tâtant, ainsi qu’un matelas, la toile fine, gracile, et tissée entre les foyers.
J’écris, pour moi, depuis le château arrière du vaisseau, à la poupe. Deux fenestrons donnent sur le jardin de François, puis c’est celui de Lambert. Si je me retourne, je trouve Lionel à droite, mitoyen. En face, par-delà les murs, en ligne, Pépin, Philippe.
Points cardinaux, dès le printemps.
Avant-dernier pas dans la direction du verger.

Voisins, voisines Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°43 , mars 2003.
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