Dans un roman oscillant entre réalisme et merveilleux, Svava Jakobsdóttir démontre la supériorité du mythe sur la réalité. Un retour aux sources empreint de folie.
Dis, jeune Islandaise, dérobe dans le Musée National du Danemark un vase en or d’une valeur inestimable. Elle est arrêtée et la justice cherche à comprendre le sens de son geste, penchant pour un acte rattaché à un réseau terroriste. Dis est convaincue de la légitimité de son acte. Elle devait récupérer l’urne contenant l’élixir de poésie dérobée par Odin. La mère de la jeune femme se rend sur les lieux pour tenter d’élucider un mystère qui dépasse les autorités. Dis aurait-elle perdu la raison ?
Née en 1930, Svava Jakobsdóttir a publié romans, nouvelles et pièces de théâtre. Elle est reconnue en Islande comme l’un des écrivains les plus importants de sa génération. Voici la première traduction française d’un de ces romans. Des textes avaient paru en revues auparavant, traduits également par Régis Boyer.
Deux récits s’affrontent dans La Saga de Gunnlöd et donnent au texte son rythme narratif. D’un côté, le discours de la mère découvrant progressivement que sa fille a quitté le monde réel pour rejoindre celui du mythe ; de l’autre le récit de Dis qui justifie son geste en s’incarnant en Gunnlöd, gardienne de l’élixir de poésie dans la mythologie nordique. Pour éclairer le lecteur, le traducteur a placé en annexe du roman un extrait de L’Edda poétique (texte du XIIIe siècle) contant l’invention de la poésie.
La Saga de Gunnlöd montre la distance entre le monde contemporain et le mythe, le non-sens -les personnages appartenant à la justice ne possèdent aucun outil pour décrypter le geste de Dis- et le sens premier, l’histoire qui fonde le monde, la vérité en somme. « Mais maintenant tout ce qu’elle disait fut jugé pure invention, sa vérité ne tombant pas sous le coup de la loi, pure fiction irresponsable. » Avec une maîtrise parfaite du récit, Svava Jakobsdóttir redonne vie à la figure archaïque du destin et de l’inéluctable. Le geste de Dis devait être.
Dans La Saga de Gunnlöd, on lit également la descente progressive de la mère dans la folie de sa fille ; elle n’a pas le choix et se doit de suivre Dis pour la comprendre. Aussi, la sympathie anime-t-elle constamment le texte : « …parce que je me trouvais dans un troisième pays : au pays de la faute, avec Dis, ma fille. », « …je me trouvais à des lieues et des lieues sous terre. Et ma torture consistait à la suivre encore. » Comment se faire une place dans la folie de l’autre ? Dis a quitté le monde réel, à l’image du Lenz de Büchner, bâtissant devant elle un mur qu’on ne franchit pas. C’est l’histoire d’une folie qui gagne, contaminant les mots et les êtres. La forme même du roman semble bientôt préférer le mythe ; le lecteur se trouve alors plongé dans un conte, il est la victime d’un processus romanesque insidieux.
Ce texte permet des lectures multiples. On serait tenté, lorsqu’on sait que l’écrivain a milité pour la reconnaissance de la femme, d’y voir enfin les signes d’une confrontation homme/femme, d’établir une lecture « féministe » du roman. Le père, l’avocat, les gardiens de prison, le fiancé de Dis, les figures masculines sont ici niés, d’une certaine façon, réduites à l’état d’ombres ou d’êtres dénués de la capacité de comprendre.
Roman de la folie, de la solitude, de l’exclusion et de la permanence du mythe, La Saga de Gunnlöd possède des faces multiples, c’est là sa plus belle qualité.
La Saga de Gunnlöd
Svava Jakobsdóttir
Traduit de l’islandais
par Régis Boyer
José Corti
320 pages, 16,50 €
Domaine étranger Élixir nordique
mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43
| par
Benoît Broyart
Dans un roman oscillant entre réalisme et merveilleux, Svava Jakobsdóttir démontre la supériorité du mythe sur la réalité. Un retour aux sources empreint de folie.
Un livre
Élixir nordique
Par
Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°43
, mars 2003.