Étant donné Marcel Duchamp N°4

Créée en 1999, Étant donné Marcel Duchamp est une superbe revue semestrielle, consacrée en grand format à l’œuvre du père de Rrose Sélavy. Son nom renvoie à l’œuvre posthume de Duchamp, Étant donnés : 1) la chute d’eau 2) le gaz d’éclairage, élaborée en secret entre 1946 et 1966 et exposée pour la première fois en 1969 à Philadelphie. Neuf mois après la mort de l’artiste, cette naissance post-mortem fit alors scandale, donnant à voir, à lorgner, par l’embrasure d’une porte, un nu féminin couché, au visage caché et au sexe glabre largement exposé.
Ce quatrième numéro propose un large dossier sur « Marcel Duchamp et l’humour ». Entre scatologie et autodérision, Patrice Quéréel replace, flanqué d’un florilège d’images savoureusement épicées, Duchamp sur ses terres normandes. Il lui trouve des prédécesseurs dans l’art de l’ironie scato, du graveur Yacinthe Langlois aux frères Bérat (l’un est l’auteur de la chanson « J’irai revoir ma Normandie », l’autre est pilier de bistrot), en passant par Godard, « expert en grossièretés salées et en invectives colorées, profès dans le catéchisme poissard » dixit le Rouen bizarre paru en 1888. De tels amuse-gueule ne peuvent faire oublier également l’image humide et tenace de « Rouen, pot de chambre de la Normandie », immortalisée par les cartes postales dès 1902 et toujours présentes sur les tourniquets des carteries locales. Résolument provincial, l’anartiste né à Rouen, où « voyeurisme et scatologie font bon ménage », aura eu, avec le « pot de chambre ou urinoir, avec sa fameuse Fountain, de 1917, avec simplicité… l’art d’introduire dans le domaine du débat esthétique, le récipient, l’objet dérisoire, ridicule et pitoyable, symbole de toutes les ironies rouennaises ». Dans un article passionnant, Marc Décimo part « sur les traces de Marcel Duchamp sur les pas de Jean-Pierre Brisset ». Découvert par Jules Romains, le « vieux philosophe nantais, auteur d’un livre compact démontrant que l’homme descendait non du singe, mais de la grenouille » est sacré Prince des Penseurs le 13 avril 1913, plus par canular que par véritable intérêt. En 1949, Breton charge Maurice Fourré, autre rêveur définitif, de partir en bord de Loire sur les traces de Brisset en ces termes : « Mon ami Marcel Duchamp -lui si difficile- n’a jamais cessé d’en être occupé ». Notons également les contributions de Jacques Roubaut, de Ornella Volta (correspondances Duchamp/Satie) etc. Enfin, dans un entretien avec les petits-enfants de Matisse, dont leur mère fut la dernière épouse de Duchamp, on apprend qu’après la mort de l’artiste, la famille a retrouvé les clefs de son appartement de la rue Parmentier dans l’urne d’incinération. Elles y sont restées, gardant scellées pour toujours les arcanes de l’esprit de leur propriétaire. Une dernière pirouette en forme de pince-sans-rire.
Étant donné Marcel
Duchamp N°4
190 pages, 38 €
(4, rue Jean-Jaques Rousseau 75001 Paris)