Ambahy -Nuit qui se décide et qui se lacère à l’aube des lucidités, sur des paupières qui se ferment aux songes.« Ambahy -une île sauvage où se réfugie, après l’insurrection de 1947, un tirailleur malgache. Ambahy -des falaises se jettent des enfants, »qui s’élancent pour franchir l’horizon« , et s’écrasent sur les récifs.
Au terme de recherches destinées à saisir le sens de ce saut, où il découvre des manuscrits qu’il confronte aux légendes de son peuple, l’artilleur-narrateur exhume quelques traces et trajectoires de la mémoire malgache (l’arrivée des premiers habitants, l’esclavage, la mission colonisatrice des occidentaux), la reconstruit en écartant les discours des blancs destinés à justifier leur domination. Aussi les écrits des missionnaires restent-ils bien distincts des multiples voix »indigènes" -celles de Nour et Benja enfants d’esclaves, de Siva, de Jao le devin-guérisseur, de Konantitra la danseuse…- qui extirpent de l’oubli, en tâtonnant, quelques immémoriaux. Narration linéaire, discursive et rationnelle contre rêve-racine, polyphonique ; ligne droite qui scrute l’horizon contre paroles en archipel balayées par le vent, le sel et l’océan : ce sont deux manières de penser l’histoire qui sont confrontées.
Ce roman se rattache dans son mouvement à celui mis en branle par Aimé Césaire (Moi, laminaire) aux Antilles, perpétué par toute une génération -Édouard Glissant, Raphaël Confiant, entre autres ; mouvement œuvrant à tirer de l’oubli la mémoire autochtone, colonisée, et à la débarrasser des strates et des conceptions occidentales qui la recouvrent.
Nour, 1947, remarquable en tous points, résonne comme un oratorio. Chants, récits, journaux, s’y entremêlent ; écheveau, entrelacs, qui finissent par constituer une texture fine, fragile, qui rythme le temps autrement, comme dans un songe. Rahamarinana (né en 1967) se poste là à la lisière du roman et du poème, et construit son texte en migrant du flou obscur (de l’oubli) vers un récit plus précis. Au terme de ce travail de mémoire où toutes les pistes mènent vers le même foyer -l’insurrection malgache de 1947-, il réussit à arracher cette tragédie au silence, nous permet d’en saisir le sens, et les soubassements.
Nour, 1947
Raharimanana
Le Serpent à plumes
260 pages, 7,50 €
Poches Oratorio malgache
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Bertrand Serra
Un livre
Oratorio malgache
Par
Bertrand Serra
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.