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octobre 2003 | Le Matricule des Anges n°47 | par Gilles Magniont

Jeffrey Eugenides rafle la mise de la rentrée littéraire en donnant à son agréable saga des airs d’avant-garde et de subversion.

1922 : Smyrne incendiée, les Grecs chassés par les Turcs, Desdemona et Lefty Stephanides embarquent pour l’Amérique. Leur situation est assez particulière : ils se marient sur le bateau d’émigrants mais ils sont frère et sœur. La faute consanguine va rejaillir, au travers d’un « gène récessif », sur le cinquième chromosome de Calliope Stephanides. Leur petite-fille découvrira durant l’adolescence qu’elle est (aussi) leur petit garçon : l’hermaphrodite, qui a maintenant quarante et un ans, entreprend de nous raconter tout ça.
La quatrième de couverture n’y va pas de main morte : huit ans après Virgin suicides, l’épais roman de Jeffrey Eugenides « transcende tous les genres ». Il en est qui ont applaudi aux accents tragiques, d’autres qui ont souligné telle ou telle réflexion sur le déterminisme, et les jurys (prix Pulitzer 2003, sélection du Médicis…) comme plus généralement la critique ont exprimé leur enthousiasme. Il n’est pas question de forcer ici le contre-pied : oui, Middlesex est un récit plaisant. On pourra selon l’humeur y glaner quelques jolies scènes (comme lorsque le père du narrateur explore le corps de sa future femme au moyen d’une clarinette) ou s’arrêter sur la réussite de certaines évocations (« C’était comme l’automne, de la regarder. C’est comme d’aller dans le Nord voir les couleurs »), on conviendra sans peine que l’auteur négocie avec brio les virages les plus scabreux (une jeune fille de 14 ans qui découvre son deuxième sexe…). Rien d’exceptionnel, toutefois ; et c’est justement parce que l’œuvre emprunte une sorte de voie moyenne, tant du point de vue politique que romanesque, qu’elle rencontre un si vif succès. Chacun remarquera qu’ici, la petite histoire se mêle à la grande, et que les soubresauts de la société américaine sont intelligemment dépeints. Depuis la mise en place du travail à la chaîne par Henry Ford jusqu’aux émeutes noires mâtées par l’armée, Eugenides exerce en toute liberté son sens critique ; toutefois, sur d’autres questions, il se montre moins intrépide. Ainsi lorsqu’il décrit une maison « qui ressemblait au communisme, meilleure en théorie qu’en réalité », ou quand il met en scène un leader arabe déclarant qu’ « Islam, ça veut dire soumission ». Que le New-Yorkais éclairé ou l’Européen bon teint se rassurent donc : il y a là un progressisme de bon aloi, mais pas d’accointance suspecte avec les barbes marxistes ou musulmanes. Dans le même sens, remarquons que les interrogations sur l’identité sexuelle permettent d’introduire de confortables généralités : certes, la normalité « n’est pas normale », bien sûr, tous « nous sommes faits d’autres parties, d’autres moitiés » et autres conneries usuelles sur le métissage.
Pris dans la toile des conventions, le personnel romanesque n’a guère qu’une vertu illustrative (un grand frère sous acides, une bourgeoise attirée par « la déchéance sophistiquée », etc.). Pour raviver les couleurs, alors, il est une méthode dont s’autorise le narrateur : évoquant les Super 8 où son réalisateur de père faisait d’hitchcockiennes apparitions, il distingue là une « touche postmoderne dans notre cinéma de famille, désignant l’artifice, attirant l’attention sur la mécanique. (Et me transmettant son esthétique) ». Le grand mot est lâché : on va faire postmoderne et pas naïf pour un sou, annoncer les changements de rythme (« Pour gagner du temps, je vous propose maintenant un montage rapide ») et souligner les transitions (par exemple : « C’est une façon d’introduire la description de ma personne »). Le lecteur, distingué mais étourdi, s’encanaillera d’une technique de narration assez osée, là où il ne s’agit que d’un vieux truc d’atelier d’écriture. Peut-être même croira-t-il que Middlesex se distingue absolument des gros romans que lisaient ses voisins de plage, il y a quelques semaines.

Middlesex
Jeffrey Eugenides
Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Marc Cholodenko
Éditions de l’Olivier
680 pages, 21

Middletext Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°47 , octobre 2003.