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Poésie La Soudière, premier ressac

octobre 2003 | Le Matricule des Anges n°47 | par Marc Blanchet

Célébrée par Michaux et Cioran, l’écriture de Vincent La Soudière demeurait dans l’ombre. Brisants permet de découvrir un auteur essentiel.

L’horloge des reconnaissances posthumes nous donne un nouveau rendez-vous. Si Vincent La Soudière a publié de son vivant Chroniques antérieures (Fata morgana, 1978), il fait partie de ces écrivains dont le nom surgit parfois au détour d’un entretien avec un écrivain, ou dans une revue qui n’existe plus depuis longtemps. Aussi vrai qu’une histoire littéraire s’écrit au revers de l’officiel, souvent événements douteux ou articles de foire, les écrits de Vincent La Soudière (1939-1993) auront eu quelques lecteurs confidentiels, dont deux qui ne sont pas sans importance : Cioran et Michaux. Le premier écrit au sujet de cet homme qui vécut de divers métiers et tenta même la vie religieuse : « Il est l’auteur d’un livre de haute tenue littéraire, Chroniques antérieures, dont il me semble difficile de ne pas admirer l’unité de ton et de vision. Dès la première page, on s’aperçoit qu’il n’y a pas là la moindre trace de tâtonnement, d’interrogation timide ; c’est, au contraire, un aboutissement, une mise en accusation radicale, le tout d’une concision de verdict. » Et Henri Michaux de confier de son côté : « L’ayant rencontré plusieurs fois je sais qu’il n’écrira jamais rien de gratuit. Ce qu’il fera connaître est important. À cela seul s’emploiera sa pénétration singulière. On ne l’imagine pas autrement. »
Un tel soutien a de quoi intimider. Vincent La Soudière semblait trop plongé dans la rédaction de nouveaux fragments pour en rajouter en vanité. Une vie en dérive, affrontée sans cesse à l’existence de quelque chose de plus vaste que sa propre conscience, a nourri cette écriture aphoristique, qui longe le poème et parcourt bel et bien la voie poétique. Sylvia Massias, qui a assuré avec intelligence ce travail d’édition du présent premier volume, le précise dans sa postface : « Un tel cheminement, pour ainsi dire à rebours, n’est pas régression infantile : c’est la voie empruntée par celui qui, préalablement passé par le creuset d’une détresse sans nom, désire re-naître ou » naître à nouveau « connaître cette seconde naissance qu’est la naissance selon l’esprit. »
S’interroger, tout en mesurant plus que la vanité mais les arrêts auxquels nous amène cette entreprise, ce fut le geste qu’accomplit Vincent La Soudière, en rassemblant cet effort dans la lisibilité d’une expression proche d’une offrande à autrui. Ainsi l’intériorité se nourrit de cette attention à l’autre, comme si c’était lui qui regardait par-dessus l’épaule de l’écrivain.
Nul désir d’amour réciproque ou de séduction pour autant : en intitulant ses aphorismes Brisants, La Soudière devine que ceux-ci peuvent avoir l’énergie de la vague et se défaire aussi bien, et que le corps de l’homme dans sa fragilité n’est que le reflet de sa propre pensée. Ces méditations deviennent des éléments de pénombre exposés à la lumière de quelques lecteurs. Le désir d’une communauté aux aspirations communes sourd dans ces textes, comme l’envie d’en contraindre l’illusion. Il n’y a pas de tiraillement pour autant entre cet amour déclaré envers l’humain et la dureté que le monde peut y opposer. La sincérité de l’ensemble dépasse ce rapport.
Comme un Montaigne, La Soudière s’applique à connaître le peu qu’il comprend et perçoit de lui-même. La pensée s’énonce en bribes, tantôt strates descendantes vers sa propre nuit, dans l’ascendance d’une marche que le soleil éclaire à défaut d’en être le terme. « Va au vrai par la voie des ascètes. Ne te fais pas de concessions. Ne transige pas. N’en parle à personne ». Ces règles de vie ouvertes à leur propre mouvement ne se figent donc pas : l’intimité d’une quelconque connaissance de soi demeure justement cette intimité dont il ne faut pas parler. L’expérience est un chemin : le fait n’est pas nouveau. Mais Vincent La Soudière en interroge la poursuite dans un monde où les dictatures ont trouvé de nouvelles ressources pour s’exercer, où l’individu lui-même sait inventer d’autres formes de renoncements depuis la mort annoncée de Dieu. La foi n’est pas seulement nécessaire. Trop la rechercher est une forme de mensonge. Elle s’impose d’elle-même dans la sincérité, ou par la sincérité.
Dès lors, en s’annonçant présente bien au-delà que la mort rabâchée de Dieu, elle établit ses lois et ses résistances. Elle peut déployer une vérité dans la méditation comme obscurcir toute prétention. Elle est ce mouvement interne des règles d’une vie, le visage d’une mesure qui se cherche sans s’affirmer : « Tout me touche et m’émeut et en même temps tout m’est indifférent. Je ne défendrai aucune cause. » Il y a de ce fait beaucoup de défiance quant aux pensées trop facilement émises de la part de Vincent La Soudière. L’humilité peut être une lampe d’orgueil dans sa propre nuit. Aussi faut-il savoir piéger sa désespérance, ses craintes et ses émotions. Non pas un travail de sape, mais le respect de ses émerveillements. Car le merveilleux ne demande qu’à surgir au détour de ces pages, à absorber en soi les à-coups de la douleur pour épurer l’individu au-delà de la transparence du langage : « J’aimerais que mon destin recouvrît très exactement la surface de ma vie, emportant tous les doutes, tous les débats, toutes les querelles. Il faut pour cela une très grande docilité et un désintéressement joyeux. »

Brisants
Vincent La SoudiÈre
Arfuyen
127 pages, 13

La Soudière, premier ressac Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°47 , octobre 2003.