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Domaine français Salvaing l’enchanteur

novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48 | par Thierry Guichard

L’écrivain trousse l’histoire de l’indépendance du Maroc en virtuose. En trois mouvements, sa valse fait tourner les vivants avec les morts.

Vous en connaissez beaucoup des romans qui commencent avec un oxymore tel celui qui ouvre Casa : « La fin commença le 8 novembre 1942 à Casablanca » se poursuit aussitôt en passant de la sphère historique à celle du privé « Armand le comprit le jour même, tira ses conclusions, marions-nous proposa-t-il dès le soir à Agathe » et dévoile en quelques virgules qui sont autant de pas de danse tout ce qui va suivre en plus de trois cents pages « nous aurons trois enfants promit-il, et dans les semaines qui suivirent il acheta un terrain » ? Laissons en suspens cette première phrase, elle court encore un peu et déjà, à sa suite, elle nous entraîne loin.
À Casablanca exactement où a débarqué Armand en même temps qu’est intronisé Mohammed V et où, plus tard, dans la débâcle de 40, débarque Agathe, envoyée là par ses patrons de la Compagnie florale. Ces deux-là ne sont pas faits pour s’entendre, ils se rencontreront donc et se marieront dans une « Casa » bombardée ce fameux 8 novembre 1942 par les Américains, dans un temps bousculé (« le 8 novembre 1942 s’achèvera le 11 »), dans l’effervescence d’un pays qui s’ouvre au désir d’indépendance. François Salvaing a nourri son roman de patientes recherches, retrouvant la Casa de l’époque avec sa fièvre urbaniste, le racisme ordinaire des Européens, l’antisémitisme des mêmes, les faits historiques et la gazette des jours ordinaires. Mais ce travail-là ne vient jamais s’intercaler entre le récit et son lecteur, il est fondu dans le rythme, les images et les sons du roman. Si quelqu’un vous demande ce qu’est un écrivain, répondez Salvaing pour la rime et offrez ce livre pour preuve. Rien de laborieux dans cette écriture qui multiplie les rendez-vous avec la surprise, le charme, la vitesse. Qui au coin d’une phrase vous laisse en tête-à-tête avec l’horreur de l’Histoire, vous rattrape par la manche, vous place au cœur d’une brasserie où les propos racistes sonnent juste, c’est-à-dire terriblement humains, puis vous embarque pour un feu d’artifice fait de pétales de roses, vous ouvre l’esprit d’une femme comme rarement roman le fit, vous empaquette des discussions de bourgeois en des dimanches « où il avait fait si beau dans le ciel et entre soi, et où l’on n’avait pas eu à croiser, mâle ou femelle, le moindre Arabe. »
C’est une langue française nourrie à la lecture des meilleurs stylistes (on pense notamment à Blondin, puisque Pont-Blondin est évoquée) qui retrouve le bonheur de narrer. Les romanciers en herbe peuvent en prendre de la graine. Voyez la première rencontre entre elle et lui : « Il retint sa main, elle retint son nom, Rouby, qui allait avec son prénom, Armand, comme de la toile de jute avec une écharpe en soie. » Découvrez Lisbonne en une phrase avec Armand : « Il marchait dans des rues qui semblaient toujours conduire à de l’eau, quand elles n’imitaient pas l’eau même, déployant sous les pas des ondes de mosaïque. » Entendez ce militaire imbu de lui-même dont les « phrases tombaient comme son short, les plis impeccables ». Observez l’insidieuse pensée coloniale pour laquelle : « les bossus, les Juifs, les bâtards, les pauvres (sont) ces divers sous-ensembles des Autres. »
Cette langue, où s’inventent des manières de montrer, se met au service aussi des personnages qui s’incarnent ici bien mieux que ne le feraient, sur la pellicule, des acteurs. Jo, l’ami d’Armand, Jeanne qu’on aime dans la douleur de l’échec, son mari Louis qui n’usait « que de deux registres : brailler, barrir » et surtout Agathe en descendante littéraire d’Emma Bovary. Ces personnages-là incarnent plus qu’eux-mêmes : un pays, une époque, un siècle. Notre monde.

Casa
François Salvaing
Stock, 363 pages, 20

Salvaing l’enchanteur Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°48 , novembre 2003.