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Domaine étranger L’amour sans amour

novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48 | par Richard Blin

Entre chemin de détresse et d’extase, les étranges leçons d’anatomie de Simona Vinci, une jeune Italienne prometteuse.

Dans tous les sens comme l’amour

Comme Léonard, elle est italienne et s’appelle Vinci. Est-ce un signe d’élection ? Sans doute, car à 33 ans et en deux livres, sa voix s’impose comme l’une des plus intéressantes d’Italie. Simona Vinci, c’est d’abord un climat fait d’inquiétante étrangeté, de trouble, de transferts où vie et souffrance s’échangent sous le signe de la déception ou de l’œuvre corruptrice du mal.
Dans Où sont les enfants (Gallimard, 2000 ; un ouvrage qui a obtenu lors de sa sortie, en 1997, le prix Elsa Morante de la première œuvre), elle décrivait le vert enfer des amours enfantines à travers l’évocation d’un groupe d’enfants, ignorant tout du monde comme du bien et du mal, et découvrant la tendresse et la cruauté, le plaisir et la douleur, au fil de cérémonies et de rituels initiatiques de plus en plus insensés.
Avec Dans tous les sens comme l’amour, c’est, en treize nouvelles, une anatomie du désir dans tous ses états qu’elle nous propose, une plongée dans l’univers sans culpabilité d’êtres qui ont perdu le mode d’emploi de leur vie. Des hommes ou des femmes en dérive, des solitaires prisonniers du labyrinthe de leur idée fixe ou du cercle vicieux d’une hantise rémanente. Une obsession, ou un manque, a investi leur vie, surdéterminant toutes leurs pensées ou tous leurs gestes. Désespérément seuls, vivant dans un monde d’affects décalés, chacun invente ou réinvente sa formule de l’amour, un amour sans amour, qui n’est que semblant, ou tentatives pour donner corps à l’intransigeance du désir, quand ce n’est pas à ses dérèglements ou à ses formes les plus extravagantes. Une jeune mère et sa petite fille errent de plage en plage, distantes et unies comme deux boules compactes de solitude et de silence vies parallèles à la fois séparées et inséparables. Ou alors, c’est un homme ou une femme qui cherche quasi instinctivement à fusionner avec le premier venu un passant, une voisine. Un lycéen fugue en compagnie d’une fillette. À chaque fois, ce qui importe, c’est le contact avec une chair, qu’elle soit vivante ou morte (« Chairs »), ou même qu’il s’agisse de la peau d’objets (« Choses »). Des gestes qui s’enchaînent comme par hasard et presque par-delà la volonté consciente du personnage, qui semble assister en spectateur étonné à ce qui lui arrive.
Un univers d’inapaisables tensions, de chair inquiète ; toute une sensualité de l’ombre où les jeux tragiques du désir et du deuil servent de toile de fond à une quête éperdue de sens ou à des tentatives de reconquête de soi. « Le corps, ce résidu ultime de la vitalité et de la possession. Un corps, nous en avons tous un et c’est peut-être le seul pouvoir qu’il reste. Quand on ne peut plus agir sur rien, on le peut encore sur le corps » écrit Simona Vinci pour expliquer sa démarche. Son propre corps comme celui de l’autre, jusqu’à l’intolérable ou l’insoutenable : de la lacération à la mutilation en passant par l’intervention chirurgicale qui « libérera » la fille-ange en la retournant comme un gant et en exposant scandaleusement l’intérieur de son corps qui ne demandait que ça.
Il faut avoir beaucoup lu, beaucoup observé, beaucoup ressenti imaginairement ou par empathie et ce, allié à une forme inédite d’innocence pour écrire ainsi (dans la peau d’homme comme de femme) du désir, de la cruauté et de la mort, de leur implacable mécanique, du cercle vicieux où ils enferment. Une écriture qui s’offre à nous dans le plus simple appareil, c’est-à-dire dans sa nudité ciselée, sa netteté de contour, son calme. Et c’est bien ce qui trouble, tant cette mise à distance devient, pour le lecteur, mise en contact. On touche le grain de chacune de ces existences, on sent la chaleur d’une peau ou bien on est saisi par la crudité d’un éclairage, la vérité ou le mensonge d’une démarche. On va même jusqu’à se sentir mal à l’aise quand le souverain toucher d’Éros se métamorphose insensiblement en toucher de Thanatos, lorsque de résolument érotique, il se fait agressif ou carrément mortel.
De ces mathématiques intérieures de la sensation, comme de la coupante géométrie du désir ou de la chorégraphie du silence, Simona Vinci semble tout savoir. Car, ne nous y trompons pas : sous un ton presque détaché, nous est dévoilé tout un théâtre de la cruauté dont Simona Vinci, en grande prêtresse de l’amour dans tous les sens, orchestre l’œuvre de nuit. Mais c’est pour mieux nous rappeler qu’entre l’humanité de l’homme et sa déchéance, la frontière est bien mince. Une simple bordure de roses, dit le Talmud.

Dans tous les sens comme l’amour, de Simona Vinci
Traduit de l’italien par Arlette Lauterbach
Gallimard/« La Noire », 220 pages, 18,50

L’amour sans amour Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°48 , novembre 2003.
LMDA PDF n°48
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