Anne-James Chaton fait des listes avec sa vie, comme pour ne rien oublier, et ses listes deviennent des poèmes sonores qu’il profère sur des rythmes qui en font toute la poésie, en martelant l’énumération, en accentuant le caractère répétitif. Prenant au mot un Emmanuel Hocquard, par exemple, il fait de la liste des courses un poème. Objectif objectivisme. « Je suis en train d’écrire », répète-t-il en boucle dans une séquence du DVD qui accompagne Autoportraits. La boucle est bouclée. Ses autoportraits fonctionnent en miroirs - « L’autoportrait accoudé à la bibliothèque » est ainsi fait de l’énumération des livres de ce qu’on devine être la bibliothèque de l’auteur, sur le même mode que « L’autoportrait assis au bureau » qu’on suppose l’inventaire systématique de ce qui s’offre à son regard au moment où il écrit, livres, objets même les plus infimes (punaises, carré de chocolat, titre de transports SNCF, etc.) La boucle se boucle en permanence, l’écriture ne propose aucune issue, n’étant jamais que la retranscription littérale d’une vision systématique, retranscription des inscriptions (lues sur un paquet de cigarettes, un résultat d’analyse sanguine, un formulaire vierge des ASSEDIC, l’intégralité des mentions portées sur son passeport, etc.) Le quotidien défile en boucle dans le poème réduit à l’enregistrement des données brutes. Le sujet égale ses objets ?
Outre que la question de la lisibilité d’un texte voué à la poésie sonore se pose encore une fois, cet ensemble d’autoportraits trouve vite ses limites. On voit bien l’intérêt, et la valeur, qu’il peut y avoir à fétichiser ainsi ses listes intimes, sa matière première objectale, pour en faire une intervention poétique en sa musicalité obsessionnelle. On voit bien même, et il faut l’affirmer sans doute et attester par là de l’authenticité de cette poésie non poétique, en cet inventaire désespéré quelque chose d’assez morbide finalement, où l’on se retrouve à égrener des mots ou des noms morts, comme désactivés (cf. « L’autoportrait aux cheveux courts » fait de l’énumération des noms d’une généalogie personnelle). Mais, à y regarder de plus près, il est difficile de ne pas voir là comme une fascination assez narcissique où des choses que l’on cite, et de soi-même par conséquent, on finit par faire des objets offerts à la contemplation, sorte d’icônes répertoriées en une mythologie personnelle un peu figée.
Alors qu’on aspire à une littérature émancipatrice des poncifs, voire de l’idéologie sous-jacente aux formes de ladite littérature (Marx et même Lénine, Debord, Marcuse, Vaneigem sont parmi les auteurs les plus cités dans la bibliothèque de l’auteur qui prend un peu la pose en philosophe), c’est comme à une reconduction de l’aliénation qu’on risque d’assister ici parfois. Le ridicule n’est pas toujours très loin, voire le mauvais goût lorsque, entre deux ouvrages de Merleau-Ponty, se trouve transcrit le texte d’un carton d’invitation d’une lecture/vidéo/performance d’Anne-James Chaton lui-même chez Agnès B… Le situationnisme affiché tourne alors un peu court. C’est dommage, et il ne faudrait pas limiter cette entreprise à ces écueils, elle mérite vraiment l’attention, par les forces rythmiques qu’elle dégage, et par la sincérité de ses intonations.
Autoportraits
Anne-James Chaton
Al Dante
89 pages, 20 €
Poésie Mes choses
novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48
| par
Xavier Person
Adepte de la poésie sonore, Anne-James Chaton poursuit l’énumération litanique de lui-même, avec une insistance obsédante, sans doute un peu narcissique.
Un livre
Mes choses
Par
Xavier Person
Le Matricule des Anges n°48
, novembre 2003.