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La révolution D’utopie en utoupie

janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49 | par Marcel Moreau

Plus jeune, beaucoup plus jeune, j’aimais la révolution. Si vous saviez comme je l’aimais… Je la chantais, la dansais, l’exaltais, la caressais. J’en faisais tourner les utoupies dans ma tête. Les utoupies me faisaient tourner la tête autour de la terre des hommes. J’aurais prié Dieu, si j’y avais cru, pour que cette giration ne connaisse de terme.
Plus tard, mais pas beaucoup plus tard, à temps, quoi, je me suis aperçu que quelque chose en moi tournait plus vite qu’elle. Que les mots de la vie, dans mon corps, tournaient plus vite qu’elle. Les mots de mon amour des mots non seulement tournaient plus vite qu’elle, mais aussi plus longuement. Je ne pouvais plus les arrêter, je n’y arrivais pas. Les utoupistes font tourner leur rêve de révolution permanente. Mais ce n’est qu’un rêve qui tourne, qui ne prend jamais vraiment corps, sauf au commencement de la révolution. J’aimais ce commencement de révolution, si vous saviez comme je l’aimais… J’admettais mal que juste après ce commencement, la révolution se grippât, cessât de tourner rond, ou alors se mît à tourner à l’envers, en grinçant. J’ai fini par ne plus aimer que son commencement, doutant de son recommencement. Au fond, ça ne devrait pas m’étonner : de la même manière, de l’amour je n’aime que les commencements. Je voudrais qu’en amour comme en révolution, les commencements ne s’interrompent de tourner, comme si c’était possible ce mouvement perpétuel des naissances ou des inaugurations. Ainsi, malgré moi, je suis devenu un déçu de la révolution, mais non autant de l’amour, lui dont, au moins, je pouvais multiplier les commencements. De la révolution, je voyais bien qu’elle n’avait de corps révolutionnaire qu’en son commencement. Ensuite ce corps se corrompait, se décomposait et promenait ses tares, à l’envers, autour de la terre. Je n’étais pas seulement déçu, j’étais désespéré. J’avais tellement cru, avec les utoupistes, à la permanence de son éclat circumterrestre. Et moi, j’avais besoin de permanence, surtout de la permanence des commencements. C’était dans ma nature. J’avais envie de changer, de tout changer, sauf de changer la permanence du changement en permanence de stagnation ou de recul ou débandade ou de fiasco. Je voudrais aller de bon changement en changement amélioré et de changement meilleur en escalade de changements toujours plus perfectibles, sur l’échelle des métamorphoses. Si la révolution ne pouvait plus tourner, qu’attendait-elle pour se dresser, en permanence, telle une échelle de valeurs dont le dernier échelon serait inatteignable, étant sans commencement, certes, mais aussi sans fin ? Hélas, de nos jours, la révolution n’a pas davantage les moyens de tourner que de se dresser. À son commencement, elle présente déjà les mêmes symptômes de dégradation interne qu’hier : l’idolâtrie de l’argent et l’obsession du pouvoir. C’est ce que je me disais, il n’y a pas si longtemps encore, alors que je regardais tourner mes mots, dans mon corps, dans ma chair, sur la page. Je découvrais soudain qu’ils n’avaient jamais cessé de tourner, qu’ils avaient su maintenir mon corps, ma chair, en état de subversion permanente, ils étaient comme au commencement, ils étaient inessoufflables. Ils ne souffraient pas de ces maux qui d’ordinaire vouent la révolution à l’échec : l’argent et le pouvoir. De plus, ils ne disposaient pas de cette rationalité efficace, froide, sèche, qui vous transforme progressivement une exubérance des débuts en bureau puis en prison. Je me suis même demandé si ce n’était pas pour ça que les mots m’étaient jadis descendus dans le corps et la chair : afin d’y tourner, inlassablement et révolutionnairement, si ce n’était pas pour conjurer cette pesanteur de l’impermanence de toute révolution. Allez savoir… avec le mystère des mots… Allez savoir si ces mots-là, en amoureux de la liberté qu’ils sont, n’entendaient pas, en imposant à ma chair et à mon corps leur mouvement permanent, m’exempter à jamais des dogmes et des slogans qui font que tôt ou tard, en général plus tôt que tard, la révolution s’essouffle, ses jambes ne répondant plus, s’arrêtant de danser et de tourner, ayant renoncé à sa folie. On comprend, dès lors, que je sois un possédé des mots, que je n’aie jamais failli à cette possession. C’était plus fort que moi. Puisque les mots du possédé me faisaient entrevoir la seule révolution qu’il était dans ma nature, démesurée, d’exciter en permanence : la révolution de l’être, une œuvre de libération, pour le corps et pour l’esprit. Une œuvre dont la permanence ne se brise qu’avec la Mort, et non en vertu de la faiblesse, de la trahison ou de la cupidité des hommes, de leur vivant.

par Marcel Moreau*

* Prosateur
> Dernier livre publié :
Tectonique des corps (L’Éther vague)

D’utopie en utoupie Par Marcel Moreau
Le Matricule des Anges n°49 , janvier 2004.