Nul besoin de sacrifier à la mode actuelle des marches dans le désert ou de l’exploration d’îles tropicales : pour échapper à la froideur et à la grisaille hivernales, cette Caravane-là vous est offerte. Cadeau idéal pour le voyageur autour de sa chambre, l’explorateur d’imaginaires, il s’agit bien là de « littératures à découvrir », une seule fois par an !
Avec pour guides André Velter et Jean-Pierre Sicre, nous devinons qu’il y aura de poétiques oasis et d’inédites excursions narratives. Plus encore, nous savourerons un système d’échos, un jeu de reflets, entre les voix et les dessins, les récits et les photographies qui, de loin en loin, offrent un autre regard. Ainsi, aux visages photographiés à Sanaa par Gérard Macé avec une discrète fascination et une tendresse respectueuse, répond la confession désabusée du Camarade Égal de Abdourahman A. Waberi, un ex-révolutionnaire somalien fouillant dans les débris d’un bâtiment officiel et y retrouvant une vieille lettre d’un Rimbaud trafiquant d’armes. De belles traductions de la poésie orale des Peuls du Mali peuvent, dans leur éclat, accompagner les œuvres d’Ernest Pignon-Ernest (dont l’admirable couverture), dessinant puis imposant aux murs et aux mémoires une Mater Dolorosa tenant tête au sida. Les puissants dessins de Jean Rustin montrent, sans pathétique, avec une cruelle franchise, entre Bacon et Schiele, des sortes d’enfants vieillis ou de vieillards réduits, des malades d’on ne sait quelle folie, aux visages à demi gommés, bafoués, nous regardant parfois par-derrière, comme surpris, ou outrés et les personnages des nouvelles de William Trevor nous laissent eux aussi pressentir, à travers le quotidien familial, l’avancée des jours, la lassitude des couples, la menace de la déraison qui peut vaincre certains, comme sous l’effet d’une fatigue de vivre.
D’autres voyages sont plus exotiques : nous suivons les pas de lettrés chinois de la période mandchoue, à la découverte de sites aussi littéraires que pittoresques, puis accompagnons Salim bin Abakari, Comorien voyageant au service d’un officier allemand jusqu’au fond de la Sibérie, notant en swahili sa découverte de la surprenante Russie des Tsars. Quelques beaux haïkus de Lacarrière rejoignent, dans leur sagesse solaire, ceux de Séféris qu’il a jadis traduits (ainsi : « Ferme très fort les yeux, Méduse,/ Avant de regarder au fond de toi »), tandis que nous découvrons, autre forme brève, 147 coplas de José Bergamín, quelques-unes d’une puissance héraclitéenne (« L’ombre qui me sépare l’âme/ du corps se fait de jour en jour/ plus claire »). Enfin, quand nous rentrons chez nous, demeurent parfois entre nos mains, repères pour la mémoire, de simples « notes d’hôtel » c’est sous ce titre que Louis-François Delisse rassemble d’hétéroclites fragments, traces de surréalistes hasards, images de rencontres sensuelles, entre Séville, Paris et le Niger viatique pour nos prochains voyages ?
Caravanes N°8 Phébus 419 pages, 45 €
Revue Piétons du monde
février 2004 | Le Matricule des Anges n°50
| par
Thierry Cecille
Un livre
Piétons du monde
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°50
, février 2004.