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Essais L’exil et la mémoire

mars 2004 | Le Matricule des Anges n°51

À la veille de la chute du Mur de Berlin, Herlinde Koelbl interroge une Allemagne déjà en cendres : celle des juifs qui ont dû fuir Hitler certains sont pourtant revenus….

Portraits juifs

photographies et entretiens
Editions Arche

Nous les sauvés,/ De nos os creux la mort taillait déjà ses flûtes,/ Contre notre désir la mort bandait déjà son arc » ces vers de Nelly Sachs, et le poème entier, ce Chœur des sauvés, ouvrent avec justesse ce recueil d’entretiens, le placent à la hauteur qui est la sienne, et que nous risquerions, peut-être, d’oublier. Ce sont, en effet, des sauvés, des survivants, qui ici se succèdent mais la vie, l’indestructible et violente et admirable force de vie les anime tant que nous pourrions ignorer, peu à peu, qu’ils témoignent, aussi, pour les millions que la mort emporta. Ils le savent, certains le disent, d’autres préfèrent se taire alors.
Herlinde Koelbl, photographe allemande née en 1939, se livre avec patience, acharnement parfois, à son enquête, de 1986 à 1989 : ces cinq cents pages convoquent trente-cinq témoins, un portrait de chacun d’eux accompagne leurs réponses à des questions souvent recommencées. Nul ennui, nul ressassement pourtant, bien plutôt une « somme » : certains sont célèbres Bruno Bettelheim, le chancelier autrichien Bruno Kreisky, l’historien de l’art Ernst Gombrich, Simon Wiesenthal d’autres non, mais tous font preuve d’une lucidité étonnante, parfois douloureuse, parfois ironique, envers le passé comme le présent, envers leur destin et ce siècle qu’ils durent traverser. Les photographies, discrètement et judicieusement, illustrent leurs parcours : regards alertés ou bienveillants, rides de sagesse ou de souffrance, sourires socratiques, mains longues et croisées en une esquisse de prière, barbes de patriarches ou de rabbins…
Leur monde, cela apparaît d’emblée essentiel, n’était pas celui du shtetl de Pologne ou d’Ukraine, les juifs de l’Est étaient, à leurs yeux, des êtres étranges, comme anachroniques, eux, pour la plupart, étaient assimilés, bien peu étaient pratiquants, beaucoup se déclarent agnostiques ou athées, et si certains devinrent sionistes, ce fut plus par conviction politique que par mysticisme. Pour beaucoup, « la conscience d’être Allemand était beaucoup plus forte que la conscience d’être Juif », leur patrie était, et demeure pour quelques-uns, « la langue allemande ». Pourtant, « pour pouvoir transmettre l’esprit hébraïque, Rosenzweig et Buber ont donc décidé de traduire la Bible en allemand. Quand ils eurent terminé la traduction, il n’y avait plus de Juifs allemands » ! Quand Koelbl les interroge sur une prétendue « supériorité » juive, ils n’y croient pas, c’est plutôt, à leur avis, que toute minorité se doit, pour survivre, de faire preuve de ressources humaines et intellectuelles supérieures à celles de la majorité qui les méprise. Il n’y a par ailleurs pas plus de race juive « pure » qu’il n’y eut de race allemande purement « aryenne ». Bien sûr, les pages les plus fortes, et elles sont nombreuses, sont celles où nous découvrons des expériences personnelles, à chaque fois uniques, où le tragique rencontre l’espoir, où la pitié cède la place à l’admiration. Souvenirs de l’enfance perdue, « empreintes » d’une jeunesse volée, trahisons, résistance, hasards, exils et retours, deuils et recommencements. Certains sont revenus en Allemagne, d’autres ont choisi Israël, d’autres l’Amérique mais ils ne cessent pas pour autant de tenter de comprendre la « culpabilité allemande », l’antisémitisme américain, ou également les tragiques excès nationalistes d’Israël (Bruno Kreisky : « Tout ce qu’on a raconté sur les troupes de Hitler se passe malheureusement aussi dans les territoires occupés par Israël »).
Si chacun d’eux s’efforce d’analyser ce qu’il a dû vivre car « ce que la pensée a produit doit être surmonté par la pensée » l’esprit achoppe face à cette interrogation ultime, face à l’énigme : où était Dieu à Auschwitz ? Les réponses sont diverses, aucune ne prime bien entendu : on peut s’inspirer du Talmud et faire l’hypothèse que « Dieu aimait tellement le monde qu’il s’en est retiré, pour ne pas le détruire par sa douleur », on peut, avec Hans Jonas, penser que c’est dans l’homme, dans sa « dimension morale », que se situe « la véritable porte d’entrée du divin dans le monde », ou, plus brutalement, avec Cordelia Edvardson, conclure que « depuis Auschwitz, le monde est fichu ».

Portraits juifs
Herlinde Koelbl
Traduit de l’allemand par Bernard Bloch et Bernard Chartreux
L’Arche
384 pages, 34 photos, 30

* Un spectacle d’après Portraits juifs sera présenté au Théâtre du Soleil à Paris en juin prochain.

L’exil et la mémoire
Le Matricule des Anges n°51 , mars 2004.
LMDA PDF n°51
4,00