Le Serengeti est une terre vierge. Un éden africain qui étend sur le Kenya et la Tanzanie des milliers de km de pâturages. Certains tour operators y proposent une excursion à des occidentaux blasés : « La migration des gnous ». Des milliers de gnous se mettent en route vers le Nord, à la recherche de la pluie salvatrice. Contre vents, poussière et rivières en crues, le tonitruant troupeau avance inexorablement. Exode grandiose auquel se joignent zèbres, lions et autres prédateurs.
Loin du récit naturaliste sur la vie des animaux, cette migration est une aventure existentielle. Un texte fait d’abstraction et de rythme. Un nouveau genre de prose vibratile non encore identifié, et c’est tant mieux. Une gigantesque balafre lézardant le sol africain et le sens donné à toute existence.
Le narrateur est un gnou, dont la conscience s’éclaire au fur de son voyage. Est-il vraiment le seul, parmi ses milliers de congénères cavalant, à se demander ce qu’il est ? : « J’étais un excursus dans cette migration elle-même originale, nouvelle, créatrice (…) j’étais comme la conscience unique du troupeau… »
Animal qui a du mal à se figurer, un peu clownesque et hybride, le gnou au nom onomatopéique n’est que ce qu’il fait, émettre un son absurde, et migrer, courir, toujours. Vers quels certitude ou mystère ? Métaphore de l’écriture elle-même, il avance, entêté, se frotte à la matière de cette terre étrangère comme l’écrivain se collette à la langue, et y érode son style. Son avancée est celle du langage en marche, son tracé assuré est le sillon profond que la littérature creuse dans le corps constitué des langues.
Né dans le Nord, Benoît Caudoux est agrégé de philosophie. Il s’est amouraché de la sagesse au lycée, à Roubaix. Son professeur d’alors a gardé précieusement toutes ses copies. Pour notre part, nous garderons en mémoire son premier livre.
La Migration des gnous de Benoît Caudoux
Léo Scheer, 108 pages, 15 €
Domaine français Je est un gnou
avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52
| par
Catherine Dupérou
Un livre
Je est un gnou
Par
Catherine Dupérou
Le Matricule des Anges n°52
, avril 2004.