On se demande quel sang coule dans les veines de Dominique Poncet : quel alcool à brûler la vie s’y est mélangé pour que le garçon (né en 57) mette autant d’énergie dans ce qu’il fait, à commencer par parler. Créateur déjà d’une première Main de singe underground de 1975 à 1985, ce lecteur avide et curieux n’a eu de cesse de proposer, au fur et à mesure des versions successives de la revue, des auteurs devenus plus tard des incontournables. Entouré de traducteurs aussi passionnés que lui (Bernard Hoepffner, Claude Riehl, Jacques Ancet, Huguette et René Raddrizzani, etc.), il a permis à La Main de Singe de distiller le virus Arno Schmidt, la voix de Gamoneda ou celle de Guy Davenport. Publiée par les éditions paternelles Comp’act, l’aventure cessait en 1997. Quinze ans journaliste dans la presse quotidienne régionale, Dominique Poncet avait donné sa démission en 1992 et entrait dans une hibernation volontaire. Le cap était mis sur l’écriture, son apprentissage d’abord par la lecture boulimique, sa pratique ensuite : « je suis bourré d’orgueil, je n’ai pas envie d’écrire des choses médiocres ».
Le garçon qui fut dans une vie précédente bûcheron canadien, mais un bûcheron qui n’abattrait des arbres que pour en faire des livres, se découvre une vie de « SDF avec un toit. » Pascale Casanova lui laisse l’usage des micros de ses Jeudis littéraires sur France Culture et l’ancien revuiste joue aussi le « ghost writer » : le nègre. De l’atelier où l’écriture se forge sort en 1999, un roman « furtif » et stupéfiant : Les Pentes fabuleuses (Comp’act). Le garçon s’est forgé un style de boxeur, à la fois fluide et organique, aux coups sévères et à l’assise sûre. Un livre de caractère.
Le voici aujourd’hui qui sort du bois, armé d’un journal au format volumineux où éclate à nouveau l’enseigne de La Main de singe. L’objet rend hommage aux métiers de l’impression, laissant gravés en ses pages, les traces de doigts, les morceaux de scotch et les hirondelles grâce à quoi l’imprimeur cale ses pages. C’est donc sous la forme d’un hymne au journal et à la littérature que renaît La Main de singe. Et c’est une bonne nouvelle. Prévu de sortir quatre fois l’an, le journal toutefois s’autorisera des dérogations : « on le sortira quand on en aura envie. Le prochain est déjà en route pour le mois de mai. » Entretemps peut-être, les premiers abonnés, se verront-ils recevoir un numéro hors commerce, des tracts, des objets littéraires et underground… La liberté et le plaisir au commande de l’entreprise se retrouvent dans la longue chronique de son fondateur qui encense, sans les sacraliser, et Thomas Bernhard et Arno Schmidt puis dégomme joyeusement la clique des surréalistes « petits branleurs se rêvant princes des dandies, chiant à la turque sans baisser la culotte. » Les autres plumes (Patrick Reumaux, Onuma Nemon et l’angélique Éric Dussert) apportent aussi des épices qui ne manquent pas sel. De quoi grimper aux arbres.
La Main de singe 20 pages, 6 € (Abt 4 # : 20 €) 7, cours Gambetta 69003 Lyon
Vie littéraire L’année des 4 singes
avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52
| par
Thierry Guichard
Dominique Poncet relance « La Main de singe » qui avait disparu en 1997. La revue devient journal.
L’année des 4 singes
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°52
, avril 2004.