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La révolution Non Sire,

mai 2004 | Le Matricule des Anges n°53 | par Arno Bertina

On fit courir le bruit qui très vite se mit à courir tout seul et très vite que Barnave et Mirabeau furent, à compter de 1789, les amants de la reine. C’était faire d’une pierre deux coups : on discréditait deux orateurs qui ne s’en laissaient pas conter, et on attisait la haine à l’égard de Marie-Antoinette qui après avoir été frivole se montrait désormais, dans la tourmente, un peu plus digne. On fit ainsi courir le bruit que ce ne fut pas le duc de Liancourt qui vint trouver le roi à l’heure de la sieste quand dans l’après-midi du 14 juillet 1789 la nouvelle de la prise de la Bastille parvint à Versailles mais Mirabeau lui-même, qui dormait dans une chambre adjacente. Mirabeau qui aurait eu les députés de la Constituante s’amusèrent beaucoup de cette blague ce mot historique : « Non Sire, c’est une révolution ». L’amant réveillant le cocu ! Les cornes soulevant la couronne ! Les champions du dessin de circonstances s’en donnèrent à cœur joie. « C’est une révolte ? » demande Louis XVI. « Non Sire, c’est une révolution » lui répond Mirabeau en secouant sa grosse tête effrayante. Il faut imaginer Louis XVI sortant du sommeil du juste, ouvrant les yeux sur ce que Mirabeau appelait lui-même « (sa) hure » : ce visage vérolé qui déjà servait à dire ou deviner ce que serait la révolution peut-être, vue de Versailles, et son haleine aussi sans doute, car Mirabeau ne se contentait pas d’offrir à la reine de fortes sensations, il buvait et mangeait comme s’il avait reçu pour mission de donner corps au tonneau des Danaïdes, son propre corps Mirabeau c’est Gargantua se rêvant Christ.
Le roi se lève, le comte peut aller se recoucher. Non parce qu’il fait confiance au roi pour ce qui serait de conduire les affaires du pays mais parce qu’il a atteint son quota journalier d’importance historique. Belle journée oui, en comparaison de toutes celles passées à ramer pour dire un mot qui impressionne le jour et reste dans les têtes la nuit tombée.
La reine n’est plus dans sa chambre, il grimace. Avait bien envie de lui rejouer la scène. Non pour se moquer encore une fois du mari pataud mais pour se montrer à elle dans un moment qu’il sait ou qu’il sent en passe de rester. Comme le signe d’un pouvoir faible, en retard d’un mot ou d’une syllabe mais enfin il suffit parfois d’ajouter une syllabe pour que la face du monde en soit changée et il se dit : c’est en cela que le mot est historique ; il a suffi de changer l’allonge du mot royal pour que, d’une erreur d’appréciation, cet échange avec le roi devienne le signe, gravé dans le marbre, d’une perspicacité étonnante. Qui fera de lui un visionnaire à peu de choses près. La reine n’est plus là mais Mirabeau est au lit avec l’Histoire et vaniteux comme il est, il croit l’entendre crier.
« Non pas une révolte, Sire. Une révolution ». Peut-être eut-il dû ne pas enlever trop de rocailles dans sa voix, au moment de prononcer le mot, car il y a dans révolution une charge de mort qu’il eut convenu de souligner un peu à qui sort du sommeil. Révolution ! Le mot seul met à la bouche un goût de sang. Sabres et piques. Corps empalés. Jacqueries non pas seulement souviens-toi de la révolution anglaise, Charles I décapité sur ordre de Cromwell. Révolution. Il roule le mot dans sa tête vide, dans sa hure, la gueule proéminente comme un sanglier il ne dit pas la bouche, il roule le mot dans sa bouche, le mâchonne comme s’il fallait en tirer tout le suc, herbe acide, traquant le goût de la sève. Qui apparaît à la surface des pensées, à force d’être mâchonné : ce qu’il sait être la première partie de la définition donnée par le dictionnaire : « Mouvement en courbe fermée, retour périodique d’un astre à un point de son orbite ». Révolution. De là, se dit le monstre couché, hirsute, dans le palais de Versailles, le sens glisse, dévisse, et le goût du sang vient à la bouche la révolution anglaise, les têtes qui tombent sans qu’une autre étymologie explique cela, juste par glissement de sens comme les têtes sont décollées, les mots dévissent parfois, tombent et se découvrent en sang. Quel contraste entre les deux pôles de cette définition ! Après tout, est-ce que le premier sens n’est pas aussi rassurant qu’il est réactionnaire ? Réactionnaire, j’invente ce mot moi contemporain de cette révolution que j’ai nommée ou baptisée aujourd’hui pour le roi. « Réactionnaire » pour dire le désir de faire retour à quelque chose qui a existé mais qui est aujourd’hui contesté. La révolution d’un astre… Faire retour au point d’origine… Je voyage et je reviens au point de départ… Entre temps, rien ne s’est passé, de l’espace n’a pas été parcouru, du temps ne s’est pas écoulé. Tout va pour le mieux dans le plus sécurisé des mondes possibles rigole-t-il.
La tête hirsute, les yeux globuleux comme poussés du dedans par les visions qu’il a, Mirabeau. Il existe un premier sens, plat, que l’usage nous montre faussement rassurant : ces têtes qui tombent, dans la révolution anglaise, n’ont-elles pas servies de marchepied à Cromwell pour se hisser sur le trône, le même trône que celui dont il a vidé Jacques I ? Il refusa le titre royal mais accepta que son pouvoir devienne héréditaire… Les têtes qui tombent attestent la première partie de la définition… Les têtes changent mais rien ne change… Oui, mieux : elles ne disparaissent que momentanément, tournent lancées comme des satellites, en orbite, et reviennent régulièrement par où elles sont passées, retrouvant leur place au sommet du corps installé sur le trône sorte de Janus montrant des visages différents alors qu’en fait non.
Pratiques du pouvoir qui ne diffèrent en rien… Il faut voir aujourd’hui ce qui se prépare… Entre Versailles et Paris. « Non Sire, c’est une révolution » s’entend-il encore répondre au pauvre zigue. Phrase qui lui semble maintenant plus intelligente encore que tout à l’heure. Entre la révolte du roi et sa révolution à lui il n’y a pas une différence de taille ou d’importance comme il a cru d’abord bêtement, pensant qu’il suffisait de jeter une syllabe supplémentaire dans la balance pour atteindre à la vérité du moment. C’est une différence de nature, et c’est donc accidentellement, par bonheur, que sa réponse est encore intelligente. Je les connais moi tous ces petits messieurs de la Constituante que je parviens à faire obéir au doigt et à l’œil. À suivre les mouvements de ma crinière comme s’ils devaient se rallier au panache d’un condottiere. Oui il faut les voir ces députés : ils sont du peuple comme moi je suis, comte de Mirabeau, député du Tiers État. C’est-à-dire par défaut, ou depuis la veille, ou de la main gauche. Bourgeois qui savent déjà ce qu’est le pouvoir, et font chaque nuit des rêves de sacre. Et il a, par rapport à cet engluement des nouveaux puissants dans leur pouvoir, une sorte de dégoût aristocratique. Il voit Charles Quint renonçant au trône de son plein gré, se retirant dans une chartreuse d’Estrémadure et priant jusqu’à la mort attendue. Cas unique ! aimerait-il tonner en pleine assemblée. Pour le reste, engluement des puissants et des nouveaux puissants et des futurs puissants dans le pouvoir qu’ils n’ont pas encore et dans les gestes qu’ils font pour l’avoir. Glue solide et efficace comme une colonne vertébrale.
Et soupirant il se lève, va ouvrir la fenêtre. Au bruit, quelqu’un lève les yeux dans le parc. Son poitrail remplit l’encadrement de la fenêtre. Il s’étire, le jardinier s’enfuit en courant.
Ceux qui rédigent les dictionnaires s’échinent à placer cette histoire de planète en tête de la rubrique alors que les gens souvent ne connaissent du mot que le sens plein de sang. Il faut tendre l’oreille aux mots, voilà la leçon du jour, leur supposer une intelligence dormante, une circulation souterraine. Les gens s’étonnent que j’écrive des contes érotiques alors que tout est là… Les mots, la chair… Il faut écouter l’usage : les gens, ici à Versailles, ne connaissaient du mot « révolution » qu’un seul sens, astronomique. Il semble qu’ils soient bien partis pour en connaître rapidement un autre. Reste à savoir s’ils percevront cela comme une bizarrerie lexicographique, ou s’ils auront l’audace de voir le rapport, comment le second sens de « révolution », quand il apparaît, s’avère très vite une eau impossible à contenir, qui se répand, imbibe la terre. Le cerveau n’est qu’une éponge à peurs. Voilà toute la littérature certainement : pendue aux basques des rubriques du dictionnaire comme autant de nains ou d’enfants montrant le roi tout nu. Voici la littérature : faire se tenir abouchées la paix et l’inquiétude, mettre de l’inquiétude dans les mots où le pouvoir nous dit que tout va bien ; mettre de la joie dans les mots où le pouvoir nous dit que tout va mal ; où le pouvoir a besoin du malheur des gens mettre des guirlandes au dictionnaire, dessiner des pieds de nez dans les marges et barbouiller les rubriques rasées de près. Ouvrir les mots vernis de réel et faire apparaître de la fiction. Qu’ils ne retombent pas dans leur rubrique comme des bêtes à enclos. Les arracher à l’emprise du pouvoir, à cet emploi mesuré qu’on en fait, contrôlé. La littérature sépare. Pour mieux unir ensuite, après. Il faut respirer.
Il regarde fatigué le chambellan déposer une bouteille de vin qu’il n’a pas demandé ce matin mais qu’il demande, c’est vrai, d’habitude.
« Retour périodique d’un astre à un point de son orbite ». Toute la littérature décrit ou raconte qu’il est impossible de revenir… Tous les livres racontent cet interstice, ce qui se glisse entre l’occupation d’un point, et le moment où l’on y fait retour. Toute la littérature ne décrit que des révolutions (premier sens) pour dire qu’il n’y a pas de révolution (premier sens), pour dire qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
Il n’y a plus vraiment de liens entre ses pensées, il y entre même de la contradiction. Il se ressert.
« Sursaut aristocratique intérieur salutaire » il appelle ça comme il roterait.
Il se marre de son gros rire. La tête lui tourne, mais la révolution n’est pas parfaite, ça tangue.
Les livres qui m’ont porté sont dans la révolte, ils l’appellent, ils la désirent. Se méfient du pouvoir, ne se satisfont pas de la vie de peu qui nous est faite, ne pas attendre que l’on nous fasse la vie ! Si quelque chose est à souhaiter c’est une révolte, des révoltes, et non pas une révolution… Appliquées d’abord à soi-même si une révolution est désirable, politique ou poétique, ce ne sera pas celle que je souhaite, mais celle par laquelle je suis moi-même surpris, débordé, contesté à en perdre la tête. Mirabeau sourit, pense à Jacques I. Bouffée de chaleur, montée de lait, colère, désir. Colères, désirs. Mirabeau se sent plus aristocrate que jamais. Aristocrate dans ce sens il n’a pas honte. La révolte qui me débordera est autrement plus désirable, qui me mettra sens dessus dessous. Réinventer la vie n’a de sens et d’efficace que si l’activité est permanente, impossible à souhaiter comme à planifier. La révolte est journalière. Sorte de saccade, bête qui rue et se cabre. Mais non pas être tout le jour révolté, comme ces petits messieurs que je croise éructant dans les couloirs du château ; ceux qui vivent la colère au ventre, jusqu’à s’en nourrir, ont l’estomac fragile en fait. Qui ne tolère que le malheur comme aliment bouillie, brouet, et non la vie rugueuse. Il n’y a rien de politique dans leur colère, n’est-ce pas Liancourt ?
Le duc qui venait d’entrer ne répondit pas à la provocation du comte que rien n’autorisait à se montrer si désinvolte. Tant de vulgarité en un seul homme !

par Arno Bertina*

*Romancier
> Dernier livre publié :
Appoggio (Actes Sud)

Non Sire, Par Arno Bertina
Le Matricule des Anges n°53 , mai 2004.
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