De sa voix douce, elle dit : « Je n’aurais pas dû être éditrice mais plutôt critique. Je ne suis pas une bonne vendeuse. » On peine à la croire, tant la fraîcheur de ses enthousiasmes est intacte. Elle feuillette son catalogue, s’arrête sur quelques noms, ceux de la nouvelle génération, comme Helmut Krausser ou Sibylle Berg : « En voilà une qui décrit magnifiquement les villes allemandes le dimanche après-midi ». Puis évoque le roman de son « dernier » Russe, Oleg Ermakov, qui lui rappelle Le Retour, film âpre et beau issu des mêmes horizons sauvages, récent Lion d’or à Venise.
Tête chercheuse en littérature étrangère, traductrice polyglotte, Jacqueline Chambon parcourt l’Europe des lettres (particulièrement les domaines allemand, russe et catalan) avec une insatiable curiosité. Ancienne d’Actes Sud, elle a fait découvrir aux lecteurs français la sulfureuse Elfriede Jelinek ou le grinçant Quim Mónzo ; a sorti des oubliettes des classiques allemands Stifter, Werfel, ou encore von Keyserling, grand prince viscontien des destins déchus ; promu Sergi Pàmies et la littérature roumaine. L’éditrice publie également des essais sur l’art contemporain (la collection « Rayon art », lieu de débats, est confiée à Yves Michaud), sur la philosophie, des livres de photographies. En 2001, elle s’est rapprochée d’Actes Sud mais aussi du Rouergue avec qui elle coédite maintenant deux collections « Les Incorrects » (sujets de société) et « Nouvelles du monde » qui abrite le genre court.
On ne sera donc pas surpris d’apprendre que l’éditrice nîmoise, née en 1938, n’a pas « le souvenir d’avoir existé sans lire ». Fille unique à l’enfance ennuyeuse (« j’étouffais dans cette ville, j’ai passé mon temps à voir mes parents acheter un frigo »), elle tentera de guérir par une boulimie de lectures. À 15 ans, elle rêve de partir en Afrique, « comme le bon Docteur Schweitzer ». À 18 ans, elle suit le premier mari venu, en quête de pétrole. Elle vivra une année en Angola. Retour dans le Midi, second mariage. « Je n’avais pas besoin de gagner ma vie. C’est un luxe ». Elle reprend ses études (de philo) à Montpellier, puis décroche son doctorat sur Adorno à la Sorbonne. Soit un parcours qu’elle juge « un peu compliqué ». Son goût pour la littérature allemande, elle le doit à la philosophie. Elle lit et relira Musil, Gombrowitz et Les Affinités électives de Goethe, « l’un de mes grands livres ».
Jacqueline Chambon a l’esprit combattant, mais pas « l’humeur batailleuse » et fait sienne cette formule : « Écrire c’est le désir, lire c’est le plaisir ». Rencontre (très enrhumée) dans un Paris pluvieux, au pied d’une monumentale toile du peintre nîmois Alain Clément.
Vous avez appris votre métier d’éditrice chez Actes Sud. C’était dans quelles circonstances ?
Après ma thèse sur Adorno en 1975, j’ai participé à une émission de radio/télévision qui s’appelait « Les Français aiment lire » et qui parcourait la France entière à la recherche de grands...
Éditeur L’ardeur d’ailleurs
mai 2004 | Le Matricule des Anges n°53
| par
Philippe Savary
Docteur en philosophie et grande lectrice de langue allemande, Jacqueline Chambon tient la barre de sa maison d’édition depuis 1987 sans que jamais soit assouvie sa soif de découverte de voix étrangères.
Une collection