La lettre d’amour est souvent perçue comme un objet magique, qui cristallise désirs et regrets. Plus magiques encore, ces petits textes que Rousseau rédige entre 1757 et 1765 : il y a là une très théorique dissertation sur les « rapports entre les sexes bien ordonnés nécessaires au bien de l’état », diverses missives plus charnelles qui sont extraites de La Nouvelle Héloïse, et surtout une plus méconnue correspondance à la jeune Sara. Cette minuscule et coquette anthologie (moins de cinquante pages) se lit avec plaisir et parfois émotion. Certes, il y manque peut-être comme un souffle et une vraie tendresse juvénile : l’homme a 50 ans et se pense comme un barbon. Mais on est saisi par l’adéquation qui se joue entre l’essence de toute lettre amoureuse et le système de pensée propre à Jean-Jacques : dénégation (« je ne vous parlerai pas »), accusation paranoïaque (« vous mentez je le sais », « vous avez été toujours fausse »), renoncement à être heureux (« j’ai pour toi le cœur d’un jeune homme et cela me suffit »), fol oubli de soi (« tes plaisirs sont mes seuls plaisirs »)… Conclusion de la cinquième lettre à Sara : « Non, mon désespoir n’est pas de n’être point aimé, mais qu’un autre doive l’être. C’est pour toi, fille angélique, que je m’afflige. (…) Qui saura t’aimer comme moi ? » Immense consolation, à la hauteur du chagrin…
Le Philosophe
amoureux
Jean-Jacques Rousseau
Éditions Zoé
44 pages, 3,50 €
Histoire littéraire L’amoureux solitaire
mai 2004 | Le Matricule des Anges n°53
| par
Gilles Magniont
Un livre
L’amoureux solitaire
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°53
, mai 2004.