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Égarés, oubliés Julien Vocance, bel haïjin

mai 2004 | Le Matricule des Anges n°53 | par Éric Dussert

Poète de talent, Vocance fut l’un des grands praticiens du haïku. Des tranchées de 1914 à l’Ardèche de 1954, ou le choix d’une forme.

Julien Vocance est né Joseph Seguin le 5 mai 1878. Il est mort dans la Drôme en 1954 après avoir insufflé à la poésie française un peu d’Extrême-Orient. C’est de Saint Julien Vocance, petit village ardéchois, qu’il a emprunté le nom en signe d’attachement au terroir maternel. La famille de sa mère était en effet issue de la région d’Annonay. On se souvient des Montgolfier, les créateurs de la montgolfière. On se souvient nettement moins des Seguin, famille paternelle qui s’enorgueillissait du grand-père, Marc Seguin, l’inventeur de la chaudière tubulaire, une mince de trouvaille. Julien Vocance lui-même ne sera pas resté les bras croisés. Avec Fernand Gregh (1873-1960), Albert de Neuville (?- ?), Paul-Louis Couchoud (1879-1959) il sera l’un des tous premiers et probablement le principal haïjin français.
De l’introduction de cette forme japonaise en France, les histoires de la littérature française n’ont retenu bêtement que la partie grossièrement visible de l’iceberg : Jean Paulhan a préparé, la belle affaire, un dossier pour la NRf de septembre 1920 sur une proposition de Jean-Richard Bloch, ce que l’on oublie de mentionner malgré l’extrême qualité de cet homme dont témoigne la récente édition d’Offrande à la poésie (Le Torii éditions, 2001). Mais Julien Vocance n’est pas en reste. Si, formellement, c’est l’essayiste nipponisant Paul-Louis Couchoud qui importe le petit poème de trois vers, Vocance est un militant qui va produire assez vite des œuvres conséquentes.
Rappel des faits : en 1903 (ou 1905, la date n’est pas établie fermement), Couchoud et deux amis publient une plaquette intitulée Au fil de l’eau. Le tirage de trente exemplaires ne permet pas de faire des miracles. La bonne parole ne touche qu’un cercle étroit. Peu importe, Vocance possède le sien et s’en imprègne. Seulement, la guerre arrive et avec elle les tranchées, les meurtres et le sang. Le licencié en droit et en lettres Joseph Seguin, par ailleurs diplômé de l’École des Chartes, de l’École du Louvre et de l’École Libre des Sciences Politiques bigre, est équipé à titre gracieux par la nation d’une capote et d’un Lebel, d’un casque et d’une autorisation de se laisser massacrer. Par chance, il en réchappe, contrairement à Georges Sabiron (1882-1918) qui n’aura eu que le temps d’écrire quelques haïku de guerre avant de perdre la vie. Vocance y perdra un œil mais sauvera sa peau. Du front, il rapporte Cent visions de guerre qui font références aux Cent vues du Fuji du peintre Hokusaï. Ses poèmes publiés dans La Grande Revue en mai 1916 sont éloquents. Avec une grâce incomparable, il exprime l’imminent surgissement de l’horreur : « une mitrailleuse ensanglantée,/ Avant de mourir a déployé/ Son éventail de cadavres. »
Créateur méticuleux, miniaturiste du langage, le chasseur de haïku ressemble comme un frère à Félix Fénéon (1861-1944), le maître discret de Paulhan qui inventa avec les Nouvelles en trois lignes trois lignes… est-ce un hasard ? une forme aussi spirituelle que frappante, nette et lourde d’un sens gonflé par la litote. Curieusement, certains haïjins se révéleront bien proches de sa manière puissante mais sibylline. Voyez Vocance : « À leur table frugale,/ Un saucisson noir s’est invité…/ Il a défoncé trois poitrines ». Ces vers de Julien Vocance n’ont pas été inspirés par un fait divers ordinaire. Ils signalent le même mépris de l’éloquence et des débordements verbaux, le même goût de l’ellipse que les nouvelles à malice de Fénéon. N’empêche, ce « mince horizon de mots » (R. Barthes) qu’est le haïku offre un champ inépuisable de registres et de thèmes dans les tonalités les plus variées. Si la règle originelle du haïku est très stricte dix-sept syllabes réparties sur trois vers avec, obligatoire, la présence d’un « mot de saison », les premiers haïjins français ont assoupli leurs contraintes en ne respectant pas toujours le compte des syllabes. Mais bast, qu’importent de vagues syllabes si le poème est beau, aurait pu commenter Laurent Tailhade.
Dès juin 1921, Julien Vocance aura donné à la revue de René-Louis Doyon, La Connaissance, son manifeste du haïku sous le titre d’ « Art poétique », cependant que ses poèmes ne seront rassemblés que très tardivement. Ils restent longtemps dispersés dans les grandes revues de l’époque comme Rythme et Synthèse ou dans cette étrange publication vouée à la promotion du haïku par ses créateurs, les frères Druart et René Maublanc : Le Pampre (Reims, 1922-1926). Tout de même, en 1937, paraîtra Le Livre des haï-kaï (Malfère) dont une réédition ardéchoise a vu le jour en 1983. Treize ans plus tard, Patrick Blanche en a proposé un choix (Voix d’encre, 1996).
Le 4 mai 1924, Couchoud saluait l’œuvre de Vocance, le meilleur haïjin de sa génération derrière lequel les petits poèmes de Paul Éluard pâlissent terriblement : « Vous avez porté le haïkaï français aux sommets de la poésie, note Couchoud. Vous en avez fait l’instrument de la sincérité absolue, de la substance pure, de la note essentielle et criante. » Le haïku doit faire vibrer l’instant, rendre compte de l’éphémère lorsqu’il touche paradoxalement au permanent ou à l’universel. D’ailleurs, c’est évident, les poèmes de Julien Vocance relèvent du permanent.

* Chantal Viart a donné un Julien Vocance ou l’Oiseau de la mélancolie présenté par Serge Brindeau en 1995 (s.l., s.n.). On peut la contacter à la bibliothèque du Raincy (93).

Julien Vocance, bel haïjin Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°53 , mai 2004.
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