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Domaine français Horreur et splendeur

septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56 | par Richard Blin

Faire tenir des mots autour de quelques images dont la vérité nous concerne tous, voilà ce que réussit le roman de Philippe Forest.

Derrière les coulisses mouvantes de la réalité, le monde est un rêve et la vie n’est que « l’étirement d’un songe d’enfant depuis longtemps révolu ». Depuis qu’il a perdu sa fille (voir L’Enfant éternel, 1997, Gallimard, rééd. Folio), Philippe Forest vit avec un drôle de sentiment d’étrangeté, dans un monde totalement affadi et neutre. Le Japon lui fut « le pays d’après », celui où apprendre à survivre à la plus déchirante des vérités. Pourquoi le Japon ? Au hasard, parce qu’il était situé aux antipodes. Mais ce qui semblait du hasard ne l’était pas. C’est ce que montre ce roman qui, à travers les histoires de Kobayashi Issa (1763-1827), le dernier des grands maîtres du haïku, de Natsume Sôseki (1867-1916), l’inventeur du roman japonais moderne, et de Yamahata Yosuke (1917-1966), qui fut le premier à photographier les victimes et les ruines de Nagasaki, interroge différentes façons de survivre à l’inacceptable.
Un poète, un romancier, un photographe, mais trois fois la même histoire. Autant d’occasions d’approcher les différentes modalités d’existence de la poésie, du roman, de l’image et d’abord de ce qu’est une vie. Des vies dont est montrée l’unité cachée, la beauté secrète et toujours blessée. À coups de très courts chapitres détourant la vérité de chacune d’elles, c’est la matière noire du vivre, l’empreinte des vides qui nous modèlent, qui s’avèrent être la petite flamme, la veilleuse d’où naît la lumière de l’écriture ou de l’espoir. Si ces vies sont exemplaires, c’est qu’elles sont, comme les nôtres, « sans savoir ni recours ». Dans un monde où l’impermanence est la règle, les haïku d’Issa pointent la nudité des choses, « le poudroiement microscopique des phénomènes », tout cela « qui ne prétend à rien d’autre qu’à la gratuité inutile d’être ». Parce qu’il n’a que trop conscience de l’infinie fragilité de tout, Issa se contente de noter ce qui l’attendrit, de ses éveils émerveillés dans la nature (« me voici vivant magnifique étonnement dans l’ombre des fleurs »), aux désastres : « monde de rosée c’est un monde de rosée et pourtant pourtant ».
Sarinagara, en japonais, signifie cependant. Il note ce « et pourtant pourtant » qui résume toute l’épreuve et toute l’énigme du désir de survivre. Une façon de dire que, pour le poète, « la mort n’est jamais le dernier mot de la vie ». Pour un romancier non plus. Sôseki le sait qui, enfant, fut deux fois abandonné, vit disparaître deux de ses frères, connut l’enfer en Angleterre, avant de devenir le premier professeur japonais à occuper la chaire de littérature anglaise à l’université de Tokyo. Mais déjà il se sentait vivant parmi les ombres et ombre parmi les vivants, près d’une femme à moitié folle et avant de perdre la plus jeune de ses filles. Il y a du Kafka dans les récits qu’il nous a laissés, ne serait-ce que dans sa façon de sublimer le rien du monde, de ne laisser survivre du néant que « le rire du roman qui accompagne les vivants dans leur nuit ».
Non la mort n’a pas toujours le dernier mot. Quand Yosuke Yamahata, photographe de l’armée impériale, s’avance le matin du 10 août 1945, au milieu du grand désert dévasté de ce qui reste de Nagasaki, il est pourtant impassible, quasi indifférent au sort des victimes. Quasi mécaniquement, en « spectateur sidéré flottant tout à coup au cœur d’une réalité que l’horreur a dénudé de sa signification », il photographie l’impensable. Des images qui resteront interdites jusqu’en 1952, et qui, du fond même de la déchirure du temps témoignent d’une affolante vérité, à la fois offerte et dérobée.
Magistrale méditation sur le magnifique désastre d’exister, Sarinagara montre finalement notre confondante inaptitude au néant. Et c’est tant mieux car si ce monde est un enfer, chaque instant est cependant un miracle.

Sarinagara
Philippe Forest
Gallimard
275 pages, 16,50

Horreur et splendeur Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°56 , septembre 2004.
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