La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie La vie continue

septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56 | par Emmanuel Laugier

Frédéric Boyer parle aux vivants d’avoir voulu mourir : un poème adresse bouleversant comme les grands livres de convalescent.

Mes amis mes amis

Le quatrième livre de poèmes de Frédéric Boyer, Mes amis mes amis, s’adresse à quelques-uns. On appelle cette façon d’appeler l’autre dans le poème, de le convoquer ou de l’inviter, l’épître. La tradition de l’épître remonte à la nuit des temps, comme le mourir, selon le vieil Archiloque, est le rythme essentiel qui tient depuis toujours les hommes. Ce tressé entre adresse et mourir est ainsi l’un des nœuds où les hommes et les femmes s’attachent à la vie, la leur, celles des autres, cherchant à faire que vivre soit une intensité telle que la part de mort en eux diminue, se réduit au plus petit copeau de l’existence. C’est une thèse certes spinoziste, mais elle joue la conscience d’exister comme on le désire vraiment contre la volonté de se laisser vivre. Mes amis, mes amis pose, nécessairement, et on dirait au-delà de sa forme, cette question des raisons qu’il y a de continuer à vivre quand pas même les amis ne suffisent à vous les donner. « Mes amis mes amis j’ai bien failli passer de vie à trépas/ Cette dernière nuit d’automne Anne n’était plus/ Là j’avais en moi la question Rester là avec ce qui n’était déjà/ Plus là et accepter ou pas ce qui n’avait plus de place Mourir/ Une première fois supprimer la relation de l’existence et du temps/ Obscure jusqu’à maintenant mais qui dans un endroit peut-être s’éclaire ». L’auteur aura tenté de se donner la mort cette nuit de décembre 2003, il aura fait en sorte de ne pas revenir dans le monde des vivants ; et n’en serait pas revenu si le soir il n’avait appelé l’un de ses amis, pour trouver la raison juste, la seule, pour revenir ; et si ce même ami n’avait eu l’intuition que « Quelque chose d’insoluble (…) connaître ce qui ne se connaît/ Pas Comment oser faire ça ? » se passait à l’autre bout du fil, poussait comme un nénuphar dans la tête de l’un de ses auteurs. On songe, tout du long de ce poème (paru initialement comme cela n’a pas été curieusement indiqué en plaquette pour les « Rencontres poétiques de Montpellier ») au sentiment de déréliction, d’abandon, à l’indifférence, au dégoût ressenti face à ce qui est essentiel (« Je m’en souviens les livres la lampe la table d’écriture/ N’étaient plus pour moi que déchets et témoins d’un monde défunt »), que les traditions monastiques nommèrent par la notion d’acédie. Jean-Louis Chrétien, dans son essai De la fatigue la définit comme « une tentation de découragement et de lassitude qui saisit le moine, surtout solitaire, et souvent au milieu du jour, dans ses pieuses occupations ». Elle est ainsi d’autant plus inscrite au cœur du vivant qu’il n’existe que dans « le passage de la puissance à l’acte », soit dans la potentialité d’épuiser sa propre foi en l’existence. Ce que Frédéric Boyer dit très bien à sa manière, ici baudelairienne, par ce : « Anne ajoute tu as tant de volonté/ Je réponds ça m’est arrivé il y a très longtemps avant la course des astres » ; ou bien, dans la douce litanie de ses « mes amis, mes amis » : « Chacun a le droit de penser qu’il est quitte de cette énigme/ De débarrasser l’âme de son pouvoir de penser jusque-là d’oublier le mal/ De mort que l’animal dit-on ne connaît pas Chacun peut réduire le tout/ À des propositions et à des énoncés »
Poème aux vers amples, mais sobre comme le plus beau classicisme, Mes amis, mes amis va jusqu’à ne plus pouvoir répéter : « cette nuit-là douze fois j’ai demandé/ est-ce que je mourrai comme ça », comme Claudel écrira ce « Que m’arrive-t-il ? car c’est comme si ce vieux monde était maintenant fermé ». Face à ce qui s’opacifie, Frédéric Boyer se sera aussi demandé comment revenir, revenir parmi ses amis, ses frères, tous, n’importe, ses semblables, et de leur répondre à tous, sans distinction de leur répondre, fait de ce poème un livre majeur.

* Du même auteur paraît un roman « Nous nous aimons » (P.O.L, 176 pages, 18 )

Mes amis mes amis, Frédéric Boyer
P.O.L, 64 pages, 12

La vie continue Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°56 , septembre 2004.
LMDA papier n°56
6,50 
LMDA PDF n°56
4,00