Vacarme N°29 (Foucault)

Vingt ans après la mort du philosophe, sa pensée est toujours vivante, et offre un puissant éclairage pour appréhender le monde d’aujourd’hui. La revue Vacarme, dans sa livraison d’automne coordonnée par Mathieu Potte-Bonneville (qui vient de publier Michel Foucault, l’inquiétude de l’histoire aux PUF) se refuse au rituel de la célébration, à l’inventaire élogieux des concepts et nous présente un Foucault en mouvement : non pas encenser l’homme et l’œuvre, mais les « utiliser », puiser dans cette fameuse « boîte à outils » que Foucault s’est efforcé de mettre à la disposition de tous ceux qui luttent contre les formes de pouvoir qui enferment, oppriment, hiérarchisent, maintiennent dans l’ignorance…
Les auteurs qui auraient pu, parfois, rendre leur propos plus accessible ont conçu ce numéro en quatre sections, comme autant de perspectives pour mieux saisir ce qui nous relie à Foucault. Prologue/1984 revient sur les grandes mutations qui se sont mises en place à l’époque de la disparition du philosophe et dont nous visons pleinement les effets aujourd’hui : essor de l’ultra libéralisme, renoncement de la gauche à jouer pleinement son rôle de transformation sociale, progression de l’extrême droite, essor des mouvements antiracistes… Signalons un très bel article de Pierre Zaoui, « Expulser la mélancolie », qui confronte la figure de Foucault à celles de Stendhal et de Pessoa.
Contextes, le deuxième volet, revient sur les engagements du philosophe dans les années 70, à la lumière de ce que nous savons aujourd’hui : on trouvera notamment un texte d’Olivier Roy sur la position de Foucault à l’égard de la révolution islamique iranienne en 1979. On retiendra cette citation : « Dans l’expression gouvernement islamique, pourquoi jeter d’emblée la suspicion sur l’adjectif islamique ? Le mot « gouvernement » suffit, à lui seul, à éveiller la vigilance. »
Usages aborde les modes d’appropriation possibles de la pensée de Foucault. Mathieu Potte-Bonneville interroge la question d’ « usage » dans ses différentes acceptions, avec un article stimulant mais d’une lecture fort exigeante. La question du sida, maladie dont Foucault est mort, est longuement abordée par Philippe Mangeot ; il montre comment les associations qui luttent contre le sida ont diversement interprété l’héritage du philosophe.
Fronts, qui clôt le volume, convoque des pans du réel d’aujourd’hui pour saisir en quoi la pensée de Foucault y résonne. Un extrait du dernier livre de Judith Butler (Precarious life) invite à une réflexion sur l’oppression légale mise en place par l’État dans les situations de crise : ainsi des États-Unis qui ont créé à Guantanamo un espace où les droits des individus sont annihilés par la raison d’État. L’ensemble se clôt avec un texte inédit de Foucault où il défend fort joliment « l’art de n’être pas tellement gouverné. »
Vacarme N°29, 172 pages, 12 € (Éditions Verticales)